Quand aimer fait peur : le fantasme de dévoration expliqué
25/5/2025

Qu’est-ce que le fantasme de dévoration ?

Pourquoi tant d’enfants ont-ils peur d’être mangés par un loup dans les contes ? Pourquoi certaines relations nous étouffent, jusqu’à nous faire perdre le sentiment d’exister ? Derrière ces expériences se cache parfois un fantasme inconscient puissant et méconnu : le fantasme de dévoration. Présent dès les premiers mois de vie, il concerne notre manière de vivre le lien à l’autre : un lien parfois vécu comme fusionnel, sécurisant, mais aussi comme trop proche, trop intrusif, voire menaçant pour notre intégrité psychique. En psychanalyse, ce fantasme est associé à une étape primordiale du développement, le stade sadique-oral, où se nouent les premières expériences de plaisir et de frustration autour de la nourriture, du corps, et du désir de fusion avec l’objet d’amour. L’enfant veut posséder, avaler, garder en lui ce qu’il aime… mais redoute aussi d’être avalé en retour. Ce double mouvement, profondément ambivalent, traverse toute notre vie psychique, bien au-delà de l’enfance. À travers le regard clinique de Rosine Lefort, l’imaginaire du loup dévoreur devient la figure symbolique d’une mère aimée et redoutée, capable de nourrir mais aussi d’anéantir. Ces représentations, même archaïques, continuent à marquer notre manière d’entrer en lien, de poser nos limites, de dire « je » face à l’autre. Plongeons ensemble dans ce fantasme méconnu, qui éclaire bien des angoisses, troubles relationnels, comportements alimentaires ou affectifs, et nous en dit long sur la complexité de nos désirs les plus précoces.

Table des matières

Avant de plonger dans les profondeurs de l’inconscient, voici un aperçu des points abordés dans cet article :

  • Définir le fantasme de dévoration. Un mécanisme inconscient archaïque, formé dès les premières interactions mère-enfant, où l’amour se mêle à la menace d’engloutissement.
  • Explorer sa double polarité. Ce fantasme peut se manifester sous la forme du désir de dévorer l’autre (fusion) ou de la peur d’être dévoré (invasion psychique).
  • Lire les contes autrement. À travers Le loup et les sept chevreaux, Rosine Lefort met en lumière comment l’enfant projette ses angoisses sur des figures symboliques comme le loup.
  • Comprendre son impact à l’âge adulte. Le fantasme persiste dans certaines relations fusionnelles, peurs de l’engagement, troubles alimentaires ou dépendances affectives.
  • Identifier ses manifestations cliniques. En thérapie, il se rejoue dans le transfert, entre idéalisation et crainte de l’intrusion. Apprivoiser ce fantasme, c’est se donner le droit d’exister sans se perdre dans l’autre.
  • S’engager dans une élaboration psychique. Grâce à la psychanalyse, il devient possible de reconnaître ces dynamiques, de poser des limites internes, et de sortir de la répétition.

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Le fantasme de dévoration : quand le lien devient trop fort… ou trop menaçant

Derrière ce nom un peu inquiétant se cache une réalité psychique profondément humaine.

Le fantasme de dévoration est un scénario inconscient très ancien, qui prend racine dans les toutes premières expériences de la vie, lorsque l’enfant n’est pas encore capable de distinguer son corps de celui de l’autre, ses désirs de ceux du monde extérieur.

Dans cette période fondatrice, la figure maternelle — ou celle qui en tient lieu — est à la fois source de plaisir et de dépendance, mais aussi puissance immense, qui peut apparaître dans l’imaginaire comme capable de combler tous les besoins… ou de tout avaler.

L’enfant développe alors des représentations paradoxales : il veut posséder entièrement ce qu’il aime, le garder en lui, comme on garde une nourriture précieuse — mais il peut aussi craindre d’être lui-même absorbé, envahi, voire anéanti par cet amour trop fort.

Ce va-et-vient psychique entre désir de fusion et peur de disparition constitue le cœur du fantasme de dévoration.

Ce fantasme trouve un écho dans ce que la psychanalyste Melanie Klein a nommé le stade sadique-oral : une phase de développement où les pulsions orales de succion et de morsure s’accompagnent de fantasmes violents, parfois cannibaliques.

L’enfant aime son objet… mais veut aussi le détruire. Il veut manger sa mère, et en même temps pense qu’elle pourrait le manger.

C’est ce que Rosine Lefort a illustré avec beaucoup de finesse dans le cas du petit Robert, évoqué lors d’un séminaire de Lacan. En observant son intérêt pour des contes tels que Le loup et les sept chevreaux, Lefort montre que l’enfant projette sur le loup l’image d’une mère dévorante.

À travers le récit, le fantasme prend forme : les chevreaux sont engloutis, un seul s’échappe, voit tout… Une métaphore puissante d’un vécu psychique où l’amour maternel est à la fois vital et terrifiant.

« Le nourrisson ne distingue pas l’intérieur de l’extérieur, lui-même de l’autre ; la bouche et le sein se confondent, l’amour et l’agression aussi. Le fantasme de dévoration naît de cette confusion fondatrice. »Didier Anzieu, Le Moi-peau

Ce fantasme de dévoration ne concerne donc pas uniquement des enfants « en difficulté » : il est universel, inscrit dans le développement de tout sujet.

Et s’il ne fait pas toujours autant de bruit que dans les contes, il continue de façonner nos peurs de dépendance, nos angoisses d’abandon, et nos désirs de lien absolu.

📊 Statistiques

  • Une enquête menée en France par l’IFOP (2021) indique que 58 % des personnes interrogées disent avoir déjà fui une relation par peur de perdre leur liberté.
  • Selon un rapport de la Fondation Fondamental (2022), près d’un adulte sur trois dit avoir vécu une relation “étouffante” ou “dépendante”.
  • Environ 60 % des adultes interrogés par OpinionWay (2020) affirment qu’il leur est difficile de dire non à un proche sans ressentir une culpabilité excessive.

Ces données, bien qu’indirectes, illustrent à quel point les dynamiques de fusion, de dépendance et d’effacement de soi sont fréquentes – et parfois incomprises.

Dévorer ou être dévoré : deux faces d’un même fantasme

Le fantasme de dévoration se manifeste toujours dans une ambivalence troublante :

d’un côté, le désir intense de dévorer l’autre, de l’absorber totalement, comme pour ne jamais le perdre ; de l’autre, la peur panique d’être soi-même avalé, envahi, dissous dans une relation trop fusionnelle.

Ces deux polarités ne sont pas opposées : elles sont les deux versants d’un même vécu inconscient, souvent sans mots, mais profondément structurant.

Dévorer l’autre : un amour qui engloutit

Dans ce versant du fantasme, il y a un besoin irrépressible de garder l’autre en soi, de ne faire qu’un avec lui.

L’enfant (et plus tard l’adulte) voudrait que l’autre ne lui échappe jamais.

Il s’agit moins de détruire que de posséder, conserver, capturer psychiquement. C’est la logique du tout ou rien : « Si je t’aime, je te veux entièrement pour moi. » Ce désir d’engloutissement est souvent à l’œuvre dans les relations passionnelles, jalouses ou exclusives, où l’autre devient indispensable, mais aussi menaçant s’il tente d’exister séparément.

On retrouve cette dimension dans certains contes, où le prédateur dévore tout sans distinction : comme le loup dans Le petit chaperon rouge ou Les sept chevreaux, il incarne une force sans limites, incapable de contenir son appétit. Et derrière ce loup, comme l’a montré Rosine Lefort, peut se cacher la figure d’une mère trop présente, trop fusionnelle, que l’enfant aime mais redoute, et qu’il rêve peut-être inconsciemment d’engloutir à son tour pour reprendre le contrôle.

Être dévoré : une peur de perte de soi

Mais ce même fantasme peut s’inverser. L’amour intense que l’enfant reçoit — ou l’attention d’un adulte très envahissant — peut devenir source d’angoisse.

Si l’autre est trop proche, trop puissant, trop intrusif, le moi naissant se sent en danger d’être absorbé.

L’enfant vit alors une peur d’être mangé, au sens psychique du terme : de ne plus exister pour lui-même, de ne plus être qu’un objet entre les mains de l’autre.

Cette expérience peut laisser des traces dans la vie adulte : peur de l’engagement, besoin de garder ses distances, évitement des liens trop intimes… autant de stratégies défensives face à une peur archaïque d’engloutissement. Ce n’est pas tant l’autre qui fait peur, que le risque de se perdre en lui.

Dans les cas les plus marqués, cette angoisse peut se rejouer dans la relation thérapeutique elle-même : le patient peut redouter que le thérapeute le pénètre, le comprenne trop bien, ou le transforme malgré lui. Le travail d’élaboration permettra alors de nommer, contenir, différencier : poser des mots là où il n’y avait que sensations floues, trop fortes, souvent terrifiantes.

🩺 En thérapie... Lorsque j’ai reçu Camille, 32 ans, elle venait de mettre fin à une relation qu’elle qualifiait elle-même de “trop parfaite pour être vraie”. Très amoureuse, elle disait se sentir rapidement “coincée”, “envahie”, “aspirée dans un truc trop fort”. Chaque tentative de rapprochement de son partenaire réveillait en elle un mélange d’angoisse, de rejet, et de fatigue inexpliquée. Au fil du travail, il est apparu que Camille avait grandi auprès d’une mère très présente, affectueuse mais intrusive, absorbante. L’amour lui avait toujours été associé à un sentiment de perte de soi. Son corps savait dire non là où les mots manquaient.

Le conte du loup : quand la mère devient effrayante

Les contes ne sont pas de simples histoires pour enfants.

Ils sont souvent les miroirs symboliques de nos grandes angoisses inconscientes, en particulier celles qui se jouent dans les premières années de la vie.

L’un des contes les plus éloquents à cet égard est sans doute Le loup et les sept chevreaux, dans lequel une mère laisse ses petits seuls… et le loup vient les dévorer un à un, sauf un, qui assiste à toute la scène.

À travers ce récit, c’est une scène fantasmatique archaïque qui se rejoue : celle de la dévoration, de la disparition brutale des petits, et d’un regard témoin, celui du chevreau qui voit tout. Rosine Lefort, psychanalyste lacanienne, a analysé avec subtilité ce conte dans le cadre de son travail sur le cas clinique de Robert, un petit garçon dont l’imaginaire était envahi par la figure du loup.

Selon Lefort, l’enfant projette dans le loup une image redoutée et fantasmée de sa mère.

Une mère à la fois nécessaire, aimée, mais aussi perçue comme toute-puissante, menaçante, engloutissante. Elle écrit que « l’enfant a envie de manger sa mère, et il pense que sa mère va le manger. Sa mère devient le loup. » Cette phrase éclaire avec force ce que la psychanalyse nomme le stade sadique-oral : une période du développement où l’amour et la haine sont encore indissociables, où le plaisir de l’oralité s’accompagne d’un désir de mordre, de détruire, d’absorber.

Dans cette logique, le loup n’est pas un monstre extérieur, mais le déguisement d’une angoisse intérieure.

Il incarne la mère perçue comme toute-puissante, celle qui peut tout donner… mais aussi tout prendre. C’est ce mélange d’amour, de dépendance et de peur qui donne aux contes leur force universelle.

Et lorsque le petit chevreau — seul rescapé — voit ses frères se faire avaler, il devient celui qui porte le regard, qui survit à la scène. Peut-être est-il l’enfant qui commence à penser, à mettre de la distance psychique entre lui et cette dévoration symbolique. C’est ce pas de côté, ce premier mouvement de subjectivation, qui marque le début de la capacité à symboliser ce qui jusqu’alors se vivait dans le corps, sans mots, sans limite.

Et chez l’adulte, que devient ce fantasme ?

On pourrait croire que ce fantasme archaïque, tissé d’angoisses d’enfance et de contes de loup, disparaît avec le temps. Il n’en est rien.

Le fantasme de dévoration ne s’efface pas : il se transforme, se déplace, se rejoue dans nos liens affectifs, nos comportements, nos symptômes. Il continue d’agir en silence, colorant certaines de nos relations d’une intensité qui nous échappe parfois.

Dans les troubles alimentaires

Le rapport à la nourriture est l’un des lieux privilégiés de réactivation de ce fantasme.

Dans l’anorexie mentale, par exemple, on peut voir un refus inconscient d’introjection : ne pas manger devient une manière de se protéger d’une intrusion vécue comme menaçante, voire d’un amour perçu comme engloutissant. Il ne s’agit pas simplement de contrôler son corps, mais de refuser d’être avalé psychiquement par l’autre.

À l’inverse, la boulimie peut exprimer un besoin impérieux de combler un vide, de se remplir, de s’apaiser à travers l’acte de manger, comme si la nourriture devenait un substitut d’objet d’amour perdu ou inaccessible. Ici, le sujet cherche à avaler ce qu’il craint de perdre, dans une logique de compensation affective.

Dans les relations fusionnelles ou toxiques

Certaines histoires d’amour ou de dépendance affective rejouent très clairement ce fantasme.

Quand l’un ne peut plus respirer sans l’autre, quand la séparation devient insupportable, quand l’amour tourne à l’obsession, il y a souvent en toile de fond un désir de fusion absolue, teinté d’angoisse. L’autre est vécu comme un prolongement de soi, qu’on veut posséder, garder, contrôler… mais qui devient aussi dangereux s’il se rapproche trop.

Dans ces situations, le sujet oscille entre la peur d’être abandonné et la peur d’être envahi. Le lien devient alors étouffant, menaçant, comme s’il fallait choisir entre dévorer ou être dévoré.

Dans la peur de l’engagement ou la phobie du lien

Chez d’autres, c’est la représentation même de la relation qui devient problématique.

La peur de s’engager, les conduites d’évitement, le besoin de solitude extrême ou les ruptures à répétition peuvent traduire une angoisse archaïque de perte de soi. Ces personnes fuient non pas l’amour en soi, mais la perte d’autonomie qu’elles associent inconsciemment à toute forme de lien. Derrière cette peur, c’est encore le fantasme d’être avalé, absorbé, réduit au silence… qui refait surface.

Pourquoi ce fantasme reste-t-il si actif ?

Parce qu’il touche à quelque chose de fondamental et universel : notre manière d’être au monde, de nous relier à l’autre, d’exister sans nous perdre.

Le fantasme de dévoration ne concerne pas uniquement les tout débuts de la vie. Il reste actif en nous parce qu’il est au cœur de nos rapports au désir, à la dépendance, à la séparation, à l’autonomie.

Ce fantasme est directement lié à la constitution du moi.

Dans les premiers temps de l’existence, nous sommes traversés par des mouvements psychiques violents : comment faire la différence entre ce qui vient de moi et ce qui vient de l’autre ? Comment tolérer que l’autre me nourrisse, me touche, me façonne… sans m’anéantir ?

Ce sont ces questions – d’abord sans mots – qui laissent une empreinte durable.

Au fil du développement, le psychisme s’organise, le langage apparaît, les limites se précisent. Mais ces expériences primitives ne disparaissent pas : elles restent présentes à l’arrière-plan, et peuvent se réactiver dans certaines situations de vie :

  • Une grossesse, un accouchement, une maternité peuvent faire resurgir la question de l’engloutissement ou de la toute-puissance maternelle.
  • Une rupture, une perte, une maladie peuvent réveiller un besoin archaïque d’être contenu, nourri, protégé.
  • Un engagement amoureux, un emménagement, une fusion dans le couple peuvent déclencher des peurs irrationnelles d’étouffement ou de disparition de soi.

Et c’est justement parce qu’il est préverbal, parce qu’il s’est inscrit avant le langage, que ce fantasme agit avec tant de force. Il nous dépasse, nous déborde parfois, sans que nous sachions toujours en retracer l’origine.

Mais le reconnaître, le nommer, en repérer les manifestations dans notre quotidien ou dans le cadre thérapeutique, c’est déjà lui donner une forme, une limite, une histoire. C’est le premier pas vers la symbolisation de ces vécus archaïques et vers un lien à l’autre moins menaçant, plus libre, plus vivant.

En thérapie : apprivoiser le loup intérieur... et cesser d’être un agneau

La psychanalyse n’a pas pour but de dompter le monstre ou d’éradiquer nos zones d’ombre.

Elle invite, avec patience et bienveillance, à les écouter, les apprivoiser, les traduire. Dans le cas du fantasme de dévoration, ce travail est d’autant plus délicat qu’il touche aux strates les plus archaïques de notre vie psychique, là où la peur et le désir sont encore indissociables.

En séance, ces représentations ne se présentent pas toujours de façon claire ou verbalisée. Elles se glissent dans les silences, les transferts, les résistances. Le patient peut, sans en avoir conscience, attendre que le thérapeute le nourrisse entièrement, le devine, le répare… ou au contraire, se méfier de lui comme d’un être qui pourrait le manipuler, l’envahir, le posséder psychiquement. Le fantasme se rejoue. Mais cette fois, dans un cadre sécurisé, avec un tiers qui n’avale pas, ne comble pas, ne disparaît pas non plus.

C’est là toute la force de la cure analytique : permettre au sujet de revivre ces peurs anciennes, sans les revivre réellement, de les symboliser, de leur donner un contour, une histoire, une mise en mots.

Peu à peu, le patient découvre qu’il peut désirer sans dévorer, aimer sans s’effacer, être nourri sans se laisser avaler.

Il n’a plus besoin de rejouer indéfiniment le rôle du petit agneau fragile, dépendant, condamné à se soumettre ou à se défendre. Il apprend à se redresser, à reconnaître ce qu’il ressent, à dire non, à s’autoriser à exister pour lui-même — sans fuir le lien pour autant.

Apprivoiser le loup, c’est aussi apprendre à ne plus être un agneau.

Non pas pour devenir un prédateur à son tour, mais pour sortir du cycle archaïque où l’on est toujours soit dévoré, soit dévorant. Pour faire place à un lien plus libre, plus différencié, plus vivant.

Ce processus n’a rien de magique. Il est lent, parfois douloureux. Mais il est profondément libérateur. Car il permet de quitter l’univers du conte — où les personnages sont figés dans leur rôle — pour entrer dans celui de la réalité psychique, où l’on peut enfin devenir sujet de sa propre histoire.

Conclusion ? Sortir du conte... entrer dans sa propre histoire

Le fantasme de dévoration n’est pas une curiosité de cabinet, ni une étrangeté réservée à l’univers infantile ou pathologique.

Il est là, tapi dans l’ombre de nos liens les plus intimes, dans nos excès d’amour, nos silences lourds, nos refus de dépendance ou nos élans passionnels. Il met en scène ce que nous cherchons tous à apprivoiser : notre rapport à l’altérité, au manque, à la séparation.

Mais ce fantasme n’est pas une fatalité. En le nommant, en le reconnaissant dans ses multiples visages — le loup, l’ogre, la mère trop bonne ou trop présente, le regard qui engloutit —, nous faisons un pas vers nous-mêmes. Un pas hors de la répétition, hors du conte figé. Un pas vers la subjectivation.

Et lorsque nous cessons d’être cet agneau sacrificiel, trop tendre pour oser mordre, trop silencieux pour oser dire, nous commençons à reprendre la main sur notre vie psychique. Nous ne devenons pas des loups à notre tour. Nous devenons humains, traversés par le désir, capables d’aimer sans disparaître.

Ce travail se fait rarement seul. Il se tisse dans la parole, dans la relation, dans le transfert, avec un thérapeute qui, sans être sauveur ni dévoreur, soutient le mouvement. Un autre humain face à soi, qui n’engloutit pas mais écoute. Qui ne comble pas mais accompagne.

C’est dans cet espace que se joue la véritable sortie du conte. Là où le fantasme ne dirige plus la scène. Là où l’histoire cesse d’être écrite pour nous — et commence à s’écrire par nous.

FAQ – Fantasme de dévoration : ce que vous ressentez sans oser le formuler

Pourquoi ai-je l’impression que l’amour me dévore ?

Il est possible que certaines relations réveillent en vous un vieux conflit intérieur : le besoin d’aimer et la peur d’y disparaître.

Il peut arriver que certaines relations soient vécues comme trop intenses, trop proches, au point de donner l’impression qu’on perd pied ou qu’on s’efface dans l’autre. Ce ressenti peut venir d’un vécu inconscient ancien, lié à un besoin fusionnel mêlé à la peur d’être envahi. Ce n’est pas « dans votre tête » : c’est souvent l’écho d’un fantasme profond, celui d’être dévoré par un amour trop envahissant. La thérapie aide à mettre des mots sur ce ressenti et à poser des limites saines.

Je me sens étouffé dès qu’on me montre de l’affection, est-ce normal ?

Cette sensation peut être liée à une ancienne peur d’intrusion, inscrite en vous très tôt.

Oui, ce sentiment est plus fréquent qu’on ne le croit. Derrière cette gêne peut se cacher une peur archaïque de l’intrusion, une ancienne angoisse de ne pas exister par soi-même dans la relation. L’affection devient alors menaçante, non pas parce qu’elle est excessive en soi, mais parce qu’elle réactive une mémoire émotionnelle inconsciente. Ce n’est pas de l’égoïsme ou de l’indifférence : c’est souvent un mécanisme de protection psychique.

Pourquoi est-ce que je repousse ceux que j’aime ?

Il se peut que vous tentiez inconsciemment d’éviter d’être englouti par l’autre.

Il peut y avoir, en vous, une peur très ancienne que la relation devienne engloutissante, qu’elle vous fasse perdre votre identité ou votre liberté. Aimer, dans ces cas-là, n’est pas un problème… mais être aimé, si. Vous repoussez peut-être inconsciemment pour ne pas être dévoré, absorbé, dominé affectivement. Ce conflit intérieur peut être lié à un fantasme de dévoration non symbolisé, hérité de la petite enfance. Il ne s’agit pas d’un rejet réel de l’autre, mais d’un mécanisme défensif profond.

J’ai du mal à dire non sans culpabiliser : est-ce un signe de dévoration psychique ?

Dire non peut parfois réveiller une peur d’abîmer le lien, voire de ne plus exister pour l’autre.

Quand dire “non” vous fait peur, c’est souvent que vous craignez de blesser, de perdre l’amour de l’autre, ou d’être rejeté. Cela peut traduire une angoisse d’abandon, mais aussi la sensation inconsciente que l’autre a un pouvoir excessif sur vous. Il est alors plus simple de se taire ou de s’adapter… jusqu’à s’effacer. Reprendre sa place dans la relation passe par la reconnaissance de ce déséquilibre intérieur. Ce n’est pas du tout une faiblesse, mais un signal précieux à écouter.

Je me sens envahi(e) par mes enfants, est-ce que c’est mal ?

Ressentir cela ne fait pas de vous un mauvais parent, mais une personne en surcharge émotionnelle.

La parentalité peut réactiver des expériences archaïques, notamment celles liées au don total de soi, à la perte d’espace personnel, à la fatigue du corps et du psychisme. Quand les enfants deviennent “trop”, cela peut réveiller des zones de fragilité narcissique, ou même des vécus anciens de fusion mal digérée. En parler, dans un espace thérapeutique, permet de reprendre souffle, sans culpabilité, et d’établir des repères plus ajustés.

Est-ce qu’on peut aimer quelqu’un et avoir peur de lui en même temps ?

Oui, cette ambivalence est fréquente et profondément humaine.

Cette ambivalence, souvent difficile à vivre, trouve ses racines dans les premières expériences affectives où l’objet aimé était aussi source d’angoisse. Ce double ressenti peut créer des conflits internes, des ruptures inexpliquées ou des conduites d’évitement. Reconnaître cette tension, c’est déjà sortir de l’emprise du fantasme de dévoration pour construire une relation plus sereine et adulte.

Pourquoi certaines personnes me paraissent-elles “dangereuses” alors qu’elles sont gentilles ?

Ce décalage entre ce que vous ressentez et ce que vous percevez est souvent le fruit d’une projection inconsciente.

Vous pouvez percevoir une personne gentille comme menaçante parce qu’elle réactive quelque chose de l’ordre du trop-plein, de l’intrusion, du contrôle. Ce n’est pas la personne en tant que telle qui est dangereuse, mais la place qu’elle prend en vous, à votre insu. Cela peut venir de liens précoces non digérés, où l’autre était vécu comme excessif ou dévorant.

J’ai peur de trop aimer, est-ce un problème ?

La peur d’aimer trop est souvent liée à une angoisse de se perdre dans l’autre.

Aimer peut parfois vous donner le sentiment de perdre vos repères, de vous oublier, de vous fondre dans l’autre. Si cette peur revient souvent, elle peut traduire un fantasme inconscient que l’amour vous détruira ou vous avalera. Il ne s’agit pas d’un excès de prudence mais d’une angoisse liée à des vécus affectifs précoces, où la fusion n’a pas trouvé de cadre sécurisant. Travailler sur cela permet d’oser aimer sans vous perdre.

Peut-on sortir de ce type de schéma relationnel ?

Oui, mais cela nécessite un travail d’exploration intérieure soutenu.

Ce n’est pas une question de volonté, mais de reconnaissance progressive de ce qui vous habite inconsciemment. Dès que vous commencez à identifier vos répétitions, vos angoisses ou vos blocages, vous ouvrez un espace pour transformer vos liens. Le changement ne consiste pas à “se blinder”, mais à retrouver la liberté d’être en lien sans peur de se dissoudre.

Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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Psychanalyse, hypnose, coaching, supervision et thérapies brèves.

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