En 1866, Gustave Courbet scandalise le monde de l’art avec L’Origine du monde, un sexe féminin peint frontalement, sans fard, qui bouscule les codes académiques et expose le désir à l’état brut. Plus d’un siècle plus tard, Orlan répond par L’Origine de la guerre, substituant au sexe féminin un sexe masculin en érection, dénonçant la virilité conquérante comme symbole de domination et de violence. Deux œuvres en miroir, deux vérités dérangeantes : l’une révèle l’énigme du désir, l’autre la brutalité du pouvoir. Ensemble, elles posent une question brûlante : que dit le corps lorsqu’il est offert au regard ?
Oubliez les Vénus vaporeuses et les déesses pudiques. En 1866, Courbet claque un plan serré sur un sexe féminin et balance au monde : « Voilà l’origine ! » Pas de mythologie, pas de décorum, juste la crudité d’un torse tronqué. Scandale assuré. Un siècle plus tard, Orlan riposte : si le sexe féminin est l’origine du monde, alors l’érection masculine est l’origine de la guerre. Deux œuvres, deux claques. Et au milieu, nous, spectateurs, pris entre désir, malaise et puissance symbolique.
Entre fascination et malaise, l’expérience esthétique devient parfois un miroir de soi ; la thérapie individuelle à Versailles offre alors un espace d’élaboration personnelle.
L’Origine du monde n’est pas une scène mythologique, pas une allégorie voilée, pas une nudité idéalisée : c’est un sexe féminin, cadré de près, tronqué, livré au regard sans échappatoire.
Une vérité crue, brute, qui pulvérise les conventions de l’époque.
Dans une société où la peinture académique drapait les corps féminins de mythes ou de voiles symboliques, Courbet ose l’impensable : il expose ce que l’art cachait depuis toujours. La toile est immédiatement jugée obscène, scandaleuse, reléguée dans l’ombre des collections privées. Son destin suit d’ailleurs la logique du secret : après le collectionneur Khalil-Bey, elle passe par les mains de Jacques Lacan et de Sylvia Bataille, qui l’installent dans leur maison de campagne, dissimulée derrière un panneau de bois peint par André Masson. Une mise en abyme parfaite : ce qui se donne à voir ne peut être vu qu’à travers un dispositif de cache.
Ce tableau n’est pas seulement un choc esthétique, c’est une énigme psychanalytique. Car Courbet confronte le spectateur à sa propre pulsion scopique : ce vertige mêlé de désir et de malaise face à ce qui, d’ordinaire, reste interdit au regard. 👉 Ce n’est pas tant le sexe féminin qui scandalise que le fait de le montrer frontalement, sans détour. En un seul geste, Courbet fait basculer la peinture dans une modernité brutale : l’art ose enfin se confronter au réel.
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Ou plutôt le drapé. En 1989, elle réalise L’Origine de la guerre, une œuvre qui imite scrupuleusement le format, les tons et le tissu froissé de L’Origine du monde. Mais au centre, plus de torse féminin tronqué : c’est le sexe masculin, en érection, photographié et exposé sans détour. Le modèle n’est autre que l’acteur Jean-Christophe Bouvet, choisi pour incarner ce renversement.
La démarche est d’une simplicité radicale : retourner le regard. Là où l’histoire de l’art a multiplié les représentations du corps féminin nu, Orlan place au centre la nudité masculine. Mais attention : l’érection n’est pas ici célébrée comme puissance de vie ou objet de désir. Elle devient symbole politique, métaphore d’une virilité conquérante, que l’artiste désigne comme « origine de la guerre ».
Le geste est puissant parce qu’il renverse la charge du scandale. Courbet avait exposé l’énigme du sexe féminin comme origine de la vie ; Orlan dénonce l’organe masculin comme moteur de la domination et de la violence. L’un provoque par excès de vérité, l’autre par excès de puissance. 👉 Là où Courbet interrogeait le désir, Orlan met en accusation le pouvoir.
👉 Dans les deux cas, l’art retourne le regard.
Ce n’est plus le spectateur qui observe la toile : c’est la toile qui l’observe. Comme un miroir brutal, elle renvoie une question sans détour :
Ces œuvres ne sont pas des images figées : ce sont des dispositifs qui piègent le regard, qui le forcent à se reconnaître dans ce qu’il croyait observer de l’extérieur. Là se loge toute la dimension psychanalytique : le spectateur sort nu de l’expérience, démasqué dans sa pulsion scopique.
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L’enfant qui voit le sexe féminin se demande : « Pourquoi n’a-t-elle pas de pénis ? ». De là naît l’angoisse de castration : la peur d’avoir perdu, ou de perdre, ce qui serait le signe de la puissance.
Avec L’Origine du monde, Courbet peint frontalement cette absence supposée. Le sexe féminin devient à la fois source de désir et d’angoisse : il fascine parce qu’il révèle l’origine, mais il inquiète parce qu’il expose le manque.
Orlan inverse la logique. Elle ne montre pas le vide mais l’excès : un sexe masculin en érection, saturé de présence, exhibé comme symbole de virilité. Pourtant, loin d’apaiser l’angoisse, ce trop-plein devient tout aussi angoissant. Car ce pénis triomphant n’est pas célébré comme promesse de vie, mais dénoncé comme instrument de domination et de violence.
👉 Ici, il faut marquer la distinction : le pénis n’est jamais qu’un organe. Le phallus, en revanche, est un signifiant. Il ne se réduit pas à l’anatomie : il condense le désir, la puissance symbolique et le manque. Orlan joue précisément de cette confusion : montrer un organe pour accuser la fonction symbolique qu’on lui prête.
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Le regard se détourne de ce qui manque pour s’accrocher à un détail rassurant : un tissu, une texture, un accessoire. Ainsi, le désir se fixe sur une partie au lieu du tout.
Le destin de L’Origine du monde illustre parfaitement ce mécanisme. Quand le tableau appartenait à Jacques Lacan et Sylvia Bataille, il ne fut jamais laissé à découvert. Lacan demanda à son beau-frère André Masson de peindre un battant de bois pour le recouvrir. Le panneau devenait lui-même fétiche : il cachait autant qu’il révélait, et l’énigme ne résidait plus seulement dans le sexe peint par Courbet, mais dans le secret qu’on savait tapi derrière le battant.
Avec L’Origine de la guerre, Orlan renverse totalement la logique. Elle ne cache rien, ne voile rien : l’organe masculin est exposé dans une crudité frontale, sans médiation ni écran symbolique. On pourrait dire qu’il s’agit d’un anti-fétiche : au lieu de rassurer, l’image trouble, elle met à vif l’angoisse du spectateur en lui refusant toute échappatoire.
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Autrement dit, il est une affaire de langage autant que de corps.
Avec L’Origine du monde, Courbet s’inscrit dans cette énigme du désir. Le sexe féminin, cadré sans détour, devient la figure même de ce qui attire et échappe, fascine et inquiète. Il expose un mystère qui n’offre pas de réponse, mais relance indéfiniment la question du désir.
Avec L’Origine de la guerre, Orlan déplace le champ. L’érection qu’elle montre n’est plus l’indice du désir, mais l’emblème du pouvoir. Elle accuse la virilité triomphante d’être à la racine non seulement de la domination des femmes, mais aussi des rapports violents qui traversent les sociétés. Le phallus cesse ici d’être un signifiant de la jouissance : il devient un symbole de la guerre.
👉 Ce passage du désir au pouvoir révèle une vérité que la psychanalyse et l’art se rejoignent à dévoiler : ce qui se joue dans l’intime s’étend toujours dans le politique. Courbet interroge la naissance du désir, Orlan dénonce la naissance de la violence. Et dans les deux cas, c’est le corps qui se trouve pris au centre des luttes.
Pas un corps idéalisé, mais un corps livré à ses contradictions, soumis aux normes sociales, politiques et religieuses. Qu’il s’agisse de ses performances des années 1970, de ses autoportraits photographiques ou de ses interventions chirurgicales des années 1990, elle n’a cessé de montrer que le corps est moins un espace intime qu’un territoire idéologique.
Dans L’Origine de la guerre, cette démarche atteint un sommet de provocation. Le sexe masculin en érection ne symbolise plus la fécondité ou l’amour, mais une virilité armée, conquérante, accusée d’engendrer la domination et la violence. En miroir, Courbet révélait l’énigme du désir ; Orlan révèle la logique du pouvoir.
👉 Le corps apparaît alors comme un champ de bataille :
En rendant visibles ces tensions, Orlan ne cherche pas seulement à provoquer. Elle rappelle que le corps est la première cible des idéologies et le premier espace de résistance. Là où Courbet plaçait le spectateur devant un désir impossible à contenir, Orlan le confronte à une violence qu’il ne peut plus ignorer.
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Quelques repères parlants :
👉 Ces chiffres montrent que la puissance virile n’est pas qu’un fantasme : elle s’exerce concrètement dans les foyers, les entreprises, les parlements… et jusque sur les champs de bataille. L’histoire militaire le confirme : ce sont les hommes qui, massivement, mènent les guerres, conquièrent les territoires, décrètent la violence légitime.
Orlan, en exposant l’érection comme symbole de domination, rejoint ces constats : le sexe masculin devient métaphore d’un rapport de pouvoir global, qui traverse aussi bien la chambre conjugale que la scène géopolitique.
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Chaque jour, des foules s’y arrêtent, oscillant entre gêne, fascination et sourire complice. Preuve que la frontalité du sexe féminin conserve intacte sa charge de scandale et de mystère.
En écho, L’Origine de la guerre circule dans les musées et les expositions, de Ornans au Musée d’Orsay, en passant par le Frac Franche-Comté. Chaque fois, elle déclenche la même onde de choc : certains y voient une provocation gratuite, d’autres une critique salutaire du patriarcat et de la virilité conquérante.
👉 Dans une société saturée d’images sexuelles — de la pornographie en ligne aux réseaux sociaux — ces deux œuvres continuent d’interroger : qu’est-ce qui choque encore ? Qu’est-ce qui dérange ? Pourquoi ce qui devrait être banal demeure explosif dès qu’il est montré dans l’espace artistique et symbolique ?
La réponse tient peut-être en ceci : parce qu’elles révèlent que derrière le sexe, ce n’est pas l’érotisme qui est en jeu, mais le regard, le pouvoir et l’inconscient collectif. Et cela, aucune société ne peut regarder en face sans malaise.
Courbet expose l’énigme de l’origine et du désir, là où la peinture académique refusait de voir. Orlan retourne le miroir : le sexe masculin n’est plus synonyme de puissance créatrice, mais de domination et de guerre.
En miroir, ces deux œuvres rappellent que le corps n’est jamais neutre. Il est désir et pouvoir, mystère et violence, objet de fascination et champ de bataille symbolique. La psychanalyse nous l’enseigne : derrière chaque représentation, c’est le regard qui se joue. Et derrière ce regard, c’est une société entière qui dit ses fantasmes, ses interdits et ses luttes.
👉 L’art, ici, n’a pas pour fonction de séduire ou de rassurer. Il dérange, il met à nu, il nous confronte à notre propre part d’ombre : voyeurisme, fantasmes de puissance, angoisses de castration, illusions de maîtrise. Courbet et Orlan, chacun à leur manière, dévoilent que le sexe n’est pas seulement l’origine de la vie : il est aussi l’origine des conflits, des interdits et des rapports de force.
En somme, ce qui se joue dans l’intime finit toujours par se traduire dans le politique. Et devant ces œuvres, nous ne sommes jamais de simples spectateurs : nous sommes pris, nous aussi, dans le miroir.
Face aux questions de désir, de pouvoir et de regard, il peut être essentiel d’entamer une thérapie individuelle à Versailles pour explorer ce que ces images réveillent en soi.