Le féminicide d’Amanda Glain, survenu en janvier 2022, est jugé aujourd’hui, 4 septembre 2025, devant la cour d’assises de Paris. Derrière ce drame se cache l’histoire d’une jalousie maladive, devenue arme mortelle entre les mains d’un ex-policier incapable d’accepter la séparation. Plus qu’un fait divers, ce procès interroge notre société : comment l’amour se transforme-t-il en emprise destructrice ? Pourquoi les institutions n’ont-elles pas su protéger malgré les alertes ? Analyse psychologique et psychanalytique de ce crime annoncé, miroir des failles individuelles et collectives.
Le meurtre d’Amanda Glain en janvier 2022 n’est pas qu’un fait divers. C’est l’histoire d’une jalousie maladive devenue machine infernale, d’une parole institutionnelle absente et d’un uniforme transformé en arme. Un féminicide commis par un ex-policier — celui-là même qui aurait dû incarner la protection. Derrière ce drame se cache une mécanique psychique implacable : l’impossibilité de supporter la perte, l’obsession de contrôler, l’effondrement de tout lien symbolique.
Allez, c’est parti…
« Tu ne seras jamais en paix tant que je serai en vie. »
Ce message n’est pas une simple menace : il marque le point de bascule où la jalousie quitte le registre de l’amour pour glisser dans la folie possessive. À ce stade, l’autre n’est plus un partenaire, mais une porte de sortie qu’il faut impérativement refermer.
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La psychanalyse distingue trois formes de jalousie selon Freud :
C’est dans cette troisième forme que s’inscrit l’affaire Amanda Glain. Ici, la séparation n’est pas une épreuve relationnelle, mais une catastrophe existentielle. Le partenaire violent ne supporte pas l’idée que l’autre puisse exister indépendamment de lui. L’autre n’est plus un sujet désirant, mais un objet vital dont il faut assurer la maîtrise totale.
Amanda l’avait compris dans sa chair. Elle a laissé des mails à elle-même, intitulés « Preuves » ou « Personnes à contacter au cas où ». Ces documents ne sont pas des actes de prudence ordinaires, mais le signe d’une anticipation viscérale de la tragédie. Quand une femme en vient à se constituer son propre dossier posthume, c’est que la peur de mourir est déjà installée dans son quotidien.
La jalousie délirante, loin d’être une preuve d’amour, est un mécanisme psychique redoutable. Elle annihile l’altérité et transforme le lien amoureux en piège mortel : mieux vaut détruire l’autre que tolérer son absence.
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Arnaud Bonnefoy, ex-fonctionnaire de police, avait pourtant pour mission de protéger les citoyens. Or, c’est précisément ce qui rend ce féminicide insupportable : le renversement du symbole. L’uniforme, censé protéger, devient masque et alibi.
Lorsque j’ai reçu Sophie (prénom modifié), son visage oscillait entre colère et honte. Son conjoint, policier, la surveillait jusque dans ses moindres gestes : appels, sorties, vêtements. Elle disait : « Comment puis-je porter plainte contre quelqu’un qui travaille avec ceux qui devraient m’écouter ? » Ce paradoxe la paralysait. Elle se sentait à la fois victime et coupable, craignant de ne pas être crue, redoutant les représailles. Dans son cas, comme pour Amanda, l’uniforme de l’autre n’était pas une protection, mais une cage.
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D’un côté, l’homme aimant, censé incarner un lien affectif. De l’autre, l’homme de loi, censé incarner la protection collective. Quand ces deux figures se confondent et déraillent, la victime est piégée dans un double verrou : celui de l’amour et celui de l’institution. Comment demander de l’aide contre un homme qui porte déjà le badge de l’autorité ?
Les faits étaient connus. Ses supérieurs avaient remarqué son instabilité, des compagnes avaient déposé plainte, les violences étaient déjà établies. La sanction ? Un stage de sensibilisation aux violences conjugales. Une mesure symbolique, sans portée réelle. Comme si quelques heures de pédagogie pouvaient suffire à endiguer une pulsion destructrice enracinée depuis des années.
Le contraste est glaçant : quand il s’agit de contrôler les citoyens, l’institution sait sévir. Mais quand il s’agit de contrôler l’un des siens, la tolérance devient aveuglement.
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La question n’est pas d’assimiler systématiquement ces drames aux violences conjugales, mais de constater que l’usage disproportionné de la force existe dans les deux sphères : publique et privée. La figure d’autorité, quand elle n’est pas contenue, peut glisser vers l’abus — qu’il soit conjugal ou institutionnel.
Pour un sujet jaloux, colérique, dans l’incapacité de symboliser la perte, l’autorité peut devenir un amplificateur de toute-puissance. Le message inconscient est clair : je suis la loi, donc je peux tout. La victime, elle, intériorise ce rapport de force et se retrouve d’autant plus enfermée dans le silence.
La psychiatre et psycho‑traumatologue Muriel Salmona insiste :
« Quand on parle de féminicide, ce n’est pas une femme qui crée des criminels, c’est un système où un criminel crée des victimes. »
Cette phrase renverse complètement le paradigme traditionnel : on ne victimise pas par erreur — on est en train de perpétrer un crime. Refuser d’entendre les ex, c’est persister dans une logique où le système protège le criminel plutôt que la victime qui alerte.
Ce n’est pas de l’amour, mais de l’impuissance à aimer. Quand l’autre cesse d’être un sujet désirant pour devenir un objet possédé, la relation bascule dans une logique mortifère : si tu n’es pas à moi, tu ne seras à personne.
La jalousie délirante traduit l’incapacité à supporter la séparation. Elle ne dit pas « j’ai peur de te perdre », elle dit « je refuse que tu existes sans moi ». C’est une angoisse d’abandon primordiale qui se retourne en violence. Freud parlait d’un « noyau paranoïaque » : là où l’autre est perçu comme persécuteur, mieux vaut l’anéantir que supporter sa liberté.
Dans les féminicides conjugaux, l’acte meurtrier n’est pas un coup de folie soudain. C’est souvent l’aboutissement d’un processus d’escalade : contrôle, isolement, menaces, violences physiques, puis meurtre. Les psychologues parlent de « violence de possession », où l’acte de tuer est vécu par l’agresseur comme une reprise de contrôle sur une situation qu’il sent lui échapper.
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La séparation agit comme un déclencheur : elle réactive une blessure narcissique archaïque, souvent liée à l’expérience du rejet ou du manque primaire.
Incapable de symboliser cette perte, l’agresseur choisit la voie de la destruction. Tuer devient une manière de sauver son narcissisme effondré, plutôt que d’affronter l’humiliation de l’abandon.
Dans l’économie psychique de l’agresseur, il vaut mieux effacer l’autre que reconnaître son impuissance. C’est là que la pulsion de mort prend le dessus, remplaçant le désir de lien par la volonté d’anéantissement. La relation n’est plus vécue comme un échange, mais comme une fusion impossible où toute autonomie de la partenaire devient insupportable.
La psychiatre Marie-France Hirigoyen, spécialiste des violences psychologiques, rappelle avec force :
« Si les femmes ne partent pas, c’est qu’elles ont été piégées, mises sous emprise. Comprendre l’emprise, c’est aussi s’en déprendre. »
Cette phrase nous oblige à déplacer le regard : il ne s’agit pas de blâmer la victime pour sa prétendue “passivité”, mais de comprendre que l’emprise est un système. Elle enferme la victime dans une toile de culpabilité, de peur et de dépendance affective. En dévoiler les ressorts, c’est déjà commencer à briser le piège.
Le drame d’Amanda Glain n’est pas seulement l’histoire d’un couple brisé. C’est aussi celle d’une institution qui a failli. Quand un policier violent reste en poste malgré des alertes multiples, le silence des autorités se transforme en complicité passive.
Tout était su. Des ex-compagnes avaient porté plainte. Ses supérieurs avaient noté son instabilité. L’arme de service lui avait été retirée… puis restituée. La sanction ? Un stage de sensibilisation. Comme si quelques heures de pédagogie pouvaient suffire à juguler une pulsion destructrice enracinée depuis des années. Le système a fait semblant d’agir, mais il a laissé le champ libre au passage à l’acte.
Dans ce type de situation, le policier bénéficie d’un effet de corps : ses collègues hésitent à dénoncer l’un des leurs, la hiérarchie minimise pour « protéger l’image ». Mais protéger l’image, c’est sacrifier des vies. Chaque omission devient une caution implicite.
Cette figure permet de les mettre à distance, comme s’ils appartenaient à une catégorie à part, étrangère au commun des mortels. Or, la réalité est plus complexe : ces hommes sont souvent ordinaires — conjoints, pères, collègues, voisins. La violence ne se définit pas par le statut social, elle surgit lorsque les mécanismes symboliques de régulation échouent.
Parler de monstres est commode : cela évite d’interroger la banalité de la violence et la tolérance sociale qui l’entoure. Le féminicide n’est pas une anomalie soudaine, mais l’aboutissement d’un processus psychique et relationnel. Dans certaines représentations collectives, la jalousie reste confondue avec une preuve d’amour, les menaces sont minimisées, l’isolement du partenaire banalisé. Ces éléments, lorsqu’ils s’accumulent, créent les conditions du passage à l’acte.
Selon la Fédération Nationale Solidarité Femmes, une femme sur dix en France subit des violences conjugales. Ces chiffres rappellent que le phénomène n’est pas marginal mais structurel : chaque famille, chaque cercle amical ou professionnel peut être concerné. La question n’est pas de savoir si nous connaissons une victime, mais qui, dans notre entourage, vit cette réalité.
Du point de vue analytique, cette formule résonne avec la nécessité d’accepter la castration symbolique : reconnaître ses limites, supporter la séparation, contenir sa pulsion destructrice. C’est précisément ce qui échoue dans ces drames, où la perte vécue comme insupportable déclenche la violence.
La prévention repose moins sur des grandes déclarations que sur une vigilance fine :
L’enjeu n’est pas seulement judiciaire : il touche aussi au tissu relationnel et à la capacité de la société à soutenir la parole des victimes. Chaque acteur — ami, collègue, institution — peut devenir un élément protecteur, ou au contraire un maillon du silence.
Elle est le visage d’une jeunesse arrachée par la jalousie délirante d’un homme incapable de supporter la séparation, et par le silence d’institutions restées passives. Derrière ce drame, une vérité s’impose : l’amour ne tue pas, c’est l’emprise qui tue.
La prévention ne se décrète pas dans les slogans, elle se construit dans les actes : écouter, protéger, agir sans attendre. Parce qu’un homme, ça s’empêche. Et qu’une société digne de ce nom, ça protège.
Le féminicide d’Amanda Glain met en lumière la rencontre tragique entre une jalousie pathologique, une incapacité à symboliser la perte et une chaîne institutionnelle qui n’a pas su prévenir l’irréversible. Ce 4 septembre 2025, le parquet a requis 28 ans de réclusion criminelle contre Arnaud Bonnefoy. Le verdict, attendu dans les prochaines heures, viendra donner une traduction judiciaire à un processus psychique et relationnel déjà analysé au cours du procès.
Au-delà de la sanction pénale, cette affaire illustre de façon clinique les mécanismes de l’emprise : dépendance affective, ambivalence amour/haine, besoin excessif de l’autre qui devient insupportable dès qu’il échappe. Elle rappelle que le féminicide n’est pas un geste isolé, mais souvent l’aboutissement d’un cycle de répétitions psychiques et comportementales.
En France, 118 féminicides ont été recensés en 2022. Derrière ce chiffre se cachent des histoires d’emprise, de jalousie pathologique, de séparations mal supportées. Ce n’est pas un “drame passionnel” comme on l’entend trop souvent, mais un crime de domination, où l’autre est réduit au statut d’objet possédé puis détruit.
On parle alors de jalousie pathologique : surveillance constante, soupçons infondés, menaces. Cette forme de jalousie n’est plus un signe d’amour, mais un symptôme de possession et de contrôle. Elle représente l’un des principaux déclencheurs des féminicides, car elle traduit l’impossibilité d’accepter l’altérité et l’existence autonome de l’autre.
En 2022, près d’un tiers des femmes tuées avaient déjà porté plainte. Les institutions souffrent d’un retard d’écoute et d’un déni collectif : admettre qu’un policier, un collègue ou un conjoint est violent, c’est fissurer une image idéalisée. Ce silence structurel coûte des vies.
Lorsque ces éléments apparaissent, il ne faut pas les minimiser. Ce sont des drapeaux rouges qui doivent alerter l’entourage et les institutions. Plus l’emprise s’installe, plus la victime se trouve piégée dans une dynamique d’anéantissement psychique et matériel.
Les victimes sont souvent prises dans un mécanisme d’emprise : alternance de menaces et de fausses promesses, isolement, peur de représailles, culpabilisation. La psychanalyse montre que l’emprise altère la capacité de juger la situation. Selon Muriel Salmona, comprendre l’emprise, c’est déjà commencer à s’en défaire. C’est pourquoi l’entourage doit soutenir sans juger, et encourager la victime à trouver de l’aide extérieure.
Encouragez-la à appeler le 3919, numéro national d’écoute, ou à porter plainte. En cas de danger immédiat, composez le 17 ou envoyez un SMS discret au 114. Offrir une écoute bienveillante, sans culpabiliser, est essentiel. Dans certains cas, proposer un accompagnement thérapeutique peut aussi aider la victime à sortir de l’emprise et reconstruire son autonomie psychique.