La souffrance n’est pas une anomalie à éradiquer, mais une réalité inhérente à la vie humaine. Qu’il s’agisse de la psychanalyse (Freud, Lacan) ou de la philosophie existentielle (Sartre, Camus, Frankl), tous rappellent que l’homme est traversé par le manque, l’angoisse et l’impossible. Vouloir supprimer la souffrance, c’est refuser ce qui structure notre désir. En revanche, apprendre à l’écouter, à la traverser et à lui donner sens peut transformer notre rapport au monde. C’est dans cette élaboration que la psychanalyse trouve toute sa place.
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Viktor Frankl :« À un homme, on peut tout enlever sauf une chose : la dernière des libertés humaines — choisir son attitude face à une situation donnée, choisir son propre chemin. »
Pertes, frustrations, angoisses, deuils : tout être humain y est confronté. Mais pourquoi la souffrance est-elle si indissociable de la condition humaine ? Est-elle une simple malchance, ou bien un élément structurant de l’existence ? La psychanalyse, de Freud à Lacan, nous invite à y voir non pas une fatalité à subir, mais un réel incontournable avec lequel chaque sujet doit composer. Allez, c’est parti…
La promesse d’un bonheur sans douleur relève donc d’une illusion. Le désir humain, par essence, se heurte à la frustration, et c’est dans cet écart entre attente et réalité que s’ouvre le champ de la souffrance.
Dès la naissance, l’enfant expérimente cette réalité : séparé du corps maternel, dépendant d’autrui pour survivre. Cette première expérience d’arrachement laisse une empreinte de faille, jamais comblée. Le langage vient ensuite redoubler cette division : nommer, c’est déjà perdre la chose. Les mots désignent l’objet, mais ne l’offrent jamais. La souffrance se loge précisément dans cette impossibilité de retrouver l’unité perdue.
Lacan parle ici de manque-à-être : l’idée que nous sommes structurés par une béance irréductible.
Ce n’est pas que les objets du monde nous déçoivent parce qu’ils sont imparfaits, mais parce qu’ils ne peuvent jamais combler l’attente infinie qui les habite. Le désir s’attache toujours à ce qui échappe, et c’est dans cet écart que la souffrance surgit.
Les penseurs existentialistes ont retrouvé cette vérité sous d’autres formes. Jean-Paul Sartre, par exemple, affirme que l’homme est “condamné à être libre” : livré à des choix incessants sans jamais trouver de fondement ultime, il est travaillé par une angoisse constitutive.
La liberté, loin d’être pure jouissance, est aussi une source de souffrance.
Dans la lignée, Ludwig Binswanger, figure de la Daseinsanalyse, a montré que la souffrance n’est pas réductible à un symptôme médical mais qu’elle exprime une manière d’“être-au-monde” entravée, un rapport altéré à la temporalité, à l’espace, aux autres. La douleur psychique devient alors un témoignage de ce rapport au monde toujours fragile.
Enfin, Irvin Yalom, psychiatre et psychothérapeute existentiel, identifie quatre “données ultimes” de l’existence : la mort, la liberté, l’isolement et l’absence de sens. Chacune de ces réalités, inévitable, confronte l’homme à son manque et engendre de la souffrance. Mais Yalom souligne aussi que c’est en affrontant ces vérités, plutôt qu’en les fuyant, que le sujet peut se transformer.
Ainsi, la souffrance ne relève pas uniquement d’événements douloureux (perte d’un proche, échec, rupture).
Elle est l’effet d’une structure : être humain, c’est être condamné à désirer sans jamais combler le vide. Vouloir éradiquer la souffrance reviendrait à abolir le manque – et donc le désir. Et que resterait-il de vivant en nous sans ce mouvement ?
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Il se manifeste sous la forme d’un impossible — une rencontre avec une limite irréductible. La souffrance psychique et corporelle est souvent ce signe du réel qui insiste, qui revient sans se laisser intégrer, comme une écharde logée au cœur du langage.
Prenons l’exemple du deuil : aucun mot ne vient combler l’absence de l’être perdu. On peut raconter, élaborer, symboliser… mais quelque chose résiste. Ce reste, c’est le réel. Dans cette perspective, la souffrance n’est pas une erreur de parcours, mais la preuve que le sujet se confronte à ce point de non-maîtrise.
Cette idée résonne avec les penseurs existentialistes. Heidegger, avec son concept d’“être-pour-la-mort”, rappelle que l’homme vit dans la projection d’une fin inéluctable. La mort, horizon de toute existence, n’est pas un accident, mais une vérité constitutive : elle colore toute notre expérience et l’imprègne d’angoisse. Là encore, la souffrance témoigne de ce réel incontournable.
Kierkegaard, lui, parle de l’angoisse comme d’un “vertige de la liberté” : nous sommes toujours confrontés à la possibilité de choisir, mais jamais sûrs de bien choisir. Cette incertitude radicale ouvre la voie au doute et à la souffrance.
Camus, enfin, décrit l’expérience de l’absurde : ce moment où le monde, soudain, cesse de “répondre” à nos attentes.
Face à l’absurde, l’homme souffre de l’écart entre son besoin de sens et le silence du monde.
La souffrance devient alors le symptôme d’une fracture constitutive entre nous et l’univers.
Ainsi, psychanalyse et existentialisme se rejoignent : la souffrance ne provient pas seulement de traumatismes ou de blessures psychologiques, mais d’une confrontation à ce qui, dans l’existence même, se dérobe. Que ce soit le réel lacanien, l’angoisse de Kierkegaard, la mort chez Heidegger ou l’absurde de Camus, tous désignent cette zone d’impossible que chaque sujet rencontre un jour ou l’autre.
La tâche de l’analyste n’est pas d’abolir cet impossible, mais d’accompagner le sujet à trouver une manière singulière de composer avec lui, à vivre avec l’impossible plutôt que contre lui
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Freud rappelait que le symptôme est un compromis : une formation psychique à la fois douloureuse et signifiante, où se nouent désir refoulé et défense. Autrement dit, la souffrance est une écriture de l’inconscient, une énigme adressée au sujet lui-même.
Chez Lacan, cette fonction s’affine : le symptôme douloureux devient une lettre, une marque singulière que le sujet porte, parfois malgré lui. Le travail analytique ne consiste pas à effacer cette trace, mais à permettre au sujet d’en faire usage. La souffrance n’est donc pas un simple obstacle, mais une voie d’accès à la vérité de son désir.
Cette idée résonne puissamment avec certains penseurs existentialistes. Nietzsche proclamait que la souffrance, loin d’être une ennemie, est ce qui nous force à créer et à dépasser nos limites.
“Ce qui ne me tue pas me rend plus fort”
ne signifie pas une apologie naïve de la douleur, mais la reconnaissance que c’est dans l’épreuve que le sujet se forge.
Viktor Frankl, psychiatre rescapé des camps, a formulé une pensée radicalement proche : même dans les conditions les plus extrêmes, l’homme conserve une liberté — celle de donner un sens à sa souffrance. Pour lui, la douleur devient insupportable quand elle est vécue comme absurde, mais elle peut être transformée si elle s’inscrit dans une histoire, un engagement, une orientation du désir.
C’est pourquoi le travail analytique n’est pas d’anesthésier la souffrance, mais d’en faire un levier de subjectivation. Le psychanalyste n’efface pas la douleur, mais il ouvre un espace où le sujet peut entendre ce qu’elle lui adresse. Et c’est souvent là que quelque chose de vivant renaît.
Lorsque j’ai reçu Thomas, 42 ans, il est entré dans mon cabinet avec cette phrase :
« Je n’arrive plus à voir le sens de ma vie. Je me lève, je travaille, je dors… et tout me paraît vide. »
Quelques mois plus tôt, il avait perdu son père. Mais ce n’est pas seulement le deuil qui le faisait souffrir : c’était la révélation brutale de sa propre finitude, la prise de conscience qu’un jour, il disparaîtrait lui aussi. Son angoisse ne se limitait pas à la tristesse, elle touchait ce point du réel où le langage ne suffit plus.
Au fil des séances, Thomas oscillait entre deux positions : d’un côté, une demande de solution immédiate, comme s’il attendait que je lui “ôte” la souffrance ; de l’autre, une plongée dans le silence, comme si aucun mot n’était assez fort pour exprimer ce vide.
Dans cette impasse, l’apport de la psychanalyse a été de reconnaître que cette souffrance parlait de lui, de son rapport au père, de son désir toujours en suspens. Elle était une lettre de l’inconscient qu’il lui fallait déchiffrer.
Mais, en parallèle, l’éclairage existentiel s’imposait : comme le dirait Viktor Frankl, Thomas se confrontait à une donnée ultime de l’existence — la mort — et à la question de ce qu’il pouvait en faire. Peu à peu, il a découvert que son angoisse, loin d’être un ennemi absolu, pouvait devenir un moteur. Sa souffrance révélait une aspiration : vivre une vie qui ne soit pas seulement une suite d’obligations, mais une existence choisie.
Ce basculement ne s’est pas fait d’un coup. Mais un jour, il m’a dit :
« Je comprends que ma souffrance ne va pas disparaître. Mais peut-être qu’elle me dit que je ne veux plus passer à côté de ma vie. »
À cet instant, quelque chose s’était déplacé. La souffrance n’avait pas été supprimée — elle ne l’est jamais totalement — mais elle était devenue porteuse de sens.
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La psychanalyse nous enseigne que la souffrance n’est pas un parasite, mais une écriture du sujet : une formation de l’inconscient qui demande à être lue, déchiffrée, réappropriée. Elle n’est pas là pour nous anéantir, mais pour nous rappeler que nous sommes divisés, désirants, traversés par un manque.
L’existentialisme, lui, nous invite à un geste parallèle : reconnaître que l’existence est marquée par la mort, l’angoisse, l’isolement et parfois l’absurde. Mais ces limites ne sont pas un mur contre lequel nous nous brisons ; elles sont le lieu même où peut s’inventer une liberté. Comme l’écrivait Camus, il s’agit de “vivre sans appel” : accepter l’absurde, mais choisir d’y répondre par une création, une fidélité à soi, une intensité de vivre.
De Nietzsche à Frankl, de Freud à Lacan, une leçon commune s’impose : la souffrance n’est pas seulement un fardeau, elle est aussi une voie d’accès. Elle révèle à chacun sa singularité, elle convoque un travail, elle pousse à chercher autrement.
Ainsi, la véritable transformation ne consiste pas à “vaincre” la souffrance, mais à l’habiter autrement. À cesser de la considérer comme une ennemie, et à l’écouter comme une messagère — parfois brutale, toujours sincère.
Car au fond, vivre, ce n’est pas échapper à la souffrance. C’est apprendre à la traverser, à la faire parler, et parfois même à s’en faire un allié dans le mouvement même de notre désir.
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La souffrance est-elle normale dans une vie humaine ?
Oui. La psychanalyse comme l’existentialisme rappellent que la souffrance n’est pas une anomalie mais une donnée de la condition humaine. Freud évoquait les frustrations inévitables liées au corps, au monde et aux relations. Sartre soulignait l’angoisse de la liberté, et Yalom les “données ultimes” de l’existence. Plutôt que de chercher à supprimer toute douleur, l’enjeu est d’apprendre à lui donner un espace et un sens, pour ne pas en être écrasé mais transformé.
Pourquoi souffrons-nous même quand “tout va bien” ?
La souffrance ne vient pas seulement des événements douloureux, elle est aussi liée au manque structurel qui habite chaque sujet. Lacan parlait de “manque-à-être” : rien ni personne ne peut combler totalement le vide qui nous traverse. Même lorsque la vie semble “réussie”, ce sentiment de manque peut réapparaître. Cela ne signifie pas un échec personnel, mais une vérité universelle : le désir s’oriente toujours vers ce qui échappe. La souffrance est alors le signe de cette tension irréductible.
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Peut-on vraiment donner un sens à sa souffrance ?
Oui, mais ce sens n’est jamais donné d’avance. Pour la psychanalyse, la souffrance est une énigme adressée au sujet, une trace de vérité inconsciente à déchiffrer. Viktor Frankl, du côté existentiel, montrait qu’on peut transformer la douleur en expérience signifiante, même dans les conditions les plus extrêmes. Donner un sens ne veut pas dire justifier la souffrance, mais choisir ce qu’on en fait : l’intégrer dans une histoire, un projet, une orientation de vie qui dépasse la pure passivité.
La psychanalyse peut-elle supprimer ma souffrance ?
Non. Le psychanalyste n’a pas vocation à “anesthésier” la douleur comme on prescrit un antidouleur. Le travail analytique consiste à entendre ce que la souffrance dit du sujet, et à permettre qu’elle trouve un espace de parole. Cela n’élimine pas toute douleur — ce qui serait illusoire — mais cela transforme le rapport du sujet à sa souffrance. Là où il se sentait prisonnier, il peut devenir auteur d’un sens singulier, moins écrasé par l’angoisse.
Comment savoir si ma souffrance relève d’une psychothérapie ?
La frontière est simple : lorsqu’une souffrance persiste, revient, s’intensifie ou empêche de vivre, elle mérite un espace de parole. La psychanalyse ou les thérapies existentielles offrent un cadre pour élaborer ce qui reste autrement muet ou étouffant. Souffrir n’est pas un signe de “folie”, c’est un signe d’humanité. Mais lorsqu’elle devient trop lourde à porter seul, chercher un accompagnement n’est pas un aveu de faiblesse : c’est un acte de responsabilité envers soi-même.
Peut-on vraiment apprendre à vivre avec la souffrance ?
Oui, et c’est sans doute l’un des plus grands apprentissages de la vie. Ni la psychanalyse ni la philosophie ne promettent une existence sans douleur, mais elles ouvrent la possibilité d’un rapport différent : reconnaître le manque, accepter l’angoisse, transformer la douleur en moteur de désir ou de sens. Comme le disait Camus face à l’absurde : il ne s’agit pas de supprimer l’écart entre nos attentes et la réalité, mais de choisir comment y répondre, par une liberté affirmée.