S’engager, ce mot a priori banal, soulève pourtant des tempêtes intérieures. Il évoque autant la promesse que l’emprisonnement, la fidélité que le renoncement. Pourquoi un acte qui devrait rimer avec confiance, maturité et épanouissement suscite-t-il autant d’angoisse, de retrait ou de rejet ? Pourquoi l'engagement amoureux, professionnel ou même amical est-il aujourd’hui si souvent repoussé, évité, diabolisé ? Ce paradoxe mérite qu'on s’y arrête.
Pourquoi cette peur de l'engagement est-elle aussi fréquente aujourd’hui ? Parce qu’elle touche à un point de friction central : le conflit entre liberté et lien. D’un côté, nous aspirons à la connexion, à l’intimité, à l’ancrage. De l’autre, nous revendiquons notre indépendance, notre individualité, notre capacité de fuite.
La pression sociale autour de l'engagement est omniprésente. Elle crée un double piège : ceux qui s'engagent peuvent se sentir coincés dans une image qu’ils doivent maintenir. Ceux qui refusent ou hésitent sont jugés, marginalisés, infantilisés.
Cette vision repose sur une équation erronée mais ancrée : plus je m’engage, moins je suis libre.
Mais qu’en est-il réellement ? L’engagement, dans sa forme saine, peut justement être un acte de liberté suprême : celui de choisir consciemment une direction, une personne, un projet. Ce n’est pas la liberté de tout faire, mais celle de se consacrer, de s’investir, de construire.
Beaucoup traînent des cicatrices émotionnelles. Des ruptures douloureuses, des trahisons, ou simplement des modèles parentaux dysfonctionnels. Quand on a vu ses parents s’entredéchirer, ou au contraire, fusionner à en perdre leur identité, il est difficile d’entrer en relation sans crainte de répétition.
Ainsi, certains fuient l’engagement non par choix, mais par réflexe de protection. Ce qui se joue, ce n’est pas un refus conscient, mais une mémoire traumatique. L’engagement réactive une ancienne douleur : celle de ne pas être assez aimé, reconnu, ou d’avoir été trahi.
Certains couples, certaines amitiés, certains projets professionnels permettent cet équilibre subtil entre le “nous” et le “je”. Cela implique de savoir poser des limites, d’apprendre à communiquer, à nourrir le lien sans s’y dissoudre.
Le non-engagement est souvent un refuge : on évite la déception, la douleur, l’échec. Mais on évite aussi la construction, la durabilité, la profondeur. Refuser de choisir, c’est parfois laisser la vie choisir pour nous.
Un engagement subi peut vite devenir une prison intérieure, un lieu d’étouffement psychique. Il alimente les ressentiments, la frustration, la fuite. À l’inverse, un engagement choisi est une expansion de soi. Il nous relie à quelque chose de plus grand, de plus signifiant.
Redéfinir l’engagement, c’est oser dire :
— je choisis d’être ici, avec toi, avec ce projet,
— non pas pour toujours, mais pour maintenant,
— non pas parce que j’y suis contraint, mais parce que j’y trouve du sens.
C’est une aventure risquée, oui. Il y aura des doutes, des tensions, des ajustements. Mais aussi des rencontres profondes, des transformations, des victoires intimes.
Le vrai danger n’est pas dans l’engagement. Il est dans le non-choix, dans cette vie tiède où l’on ne se risque jamais à aimer, créer, défendre, bâtir.