Et si ce que vous vivez n’était pas un hasard, mais une répétition ? Une séparation familière, un échec déjà vécu, un malaise qui revient malgré le décor changé… Freud nomme cela la compulsion de répétition : ce qui ne se remémore pas, se rejoue. Lacan ira plus loin : « L’inconscient, c’est la répétition. » Ce n’est pas un souvenir qui revient, mais un réel qui n’a pas été symbolisé, et qui insiste, encore et encore. La répétition n’est pas un bug de votre histoire : c’est un appel. Une scène qui cherche un mot. Un sens. Un dénouement.
Cet article explore les apports de Freud et Lacan pour comprendre la répétition comme langage de l’inconscient. Vous découvrirez pourquoi certaines scènes se rejouent — pour maîtriser, dire l’indicible ou transmettre l’impensé. Vous apprendrez à repérer ces schémas répétitifs, à travers vos choix, vos émotions, vos récits. Un exemple clinique illustre ce phénomène, et montre comment la thérapie permet de transformer l’acte en parole.
Allez, c’est parti : on entre dans ce qui insiste.
Et en fin d’article, une FAQ pour aller plus loin.
Bonne lecture. 🌀
Une logique qui vous place, vous déplace, vous rejette dans une position familière, sans que vous en saisissiez les rouages. Vous pensez choisir… mais quelque chose choisit en vous.
Freud l’a perçue très tôt : le sujet répète ce qu’il ne peut se rappeler. Il ne le fait pas exprès, il le vit, à travers ses actes, ses lapsus, ses symptômes. Le passé non intégré ne reste pas derrière nous, il s’infiltre dans le présent, et cherche une issue dans l’action. Un traumatisme, une scène d’humiliation, une blessure d’amour, un abandon — tout ce qui n’a pas été mis en mots s’écrit autrement, dans le corps, dans les échecs, dans l’énigme que constitue sa propre vie.
Lacan, dans sa lecture de Freud, ne s’arrête pas à cette répétition comme effet du refoulé. Il y voit l’ossature même de l’inconscient. Non pas un contenu oublié, mais un mécanisme structurant.
Ce qui se répète, ce n’est pas le souvenir, mais la tentative toujours manquée d’en dire quelque chose.
Répéter, c’est être saisi dans une chaîne signifiante qui se boucle, qui revient en un point de fixation. Une sorte de tourniquet où le sujet tourne autour d’un réel qui ne se laisse pas symboliser. Ce n’est pas tant le passé qui revient, mais l’impossible à dire, l’indicible, ce qui s’est logé là comme une écharde psychique.
La répétition inconsciente n’est donc pas une erreur de parcours.
Non pas par goût de souffrir, mais parce que l’inconscient met en scène l’ancien traumatisme dans une nouvelle configuration, où le sujet espère cette fois tenir les rênes.
C’est une tentative de réparation qui se double d’une illusion de maîtrise : « Puisque je le rejoue, peut-être qu’un autre dénouement est possible. »
Mais bien souvent, la scène échoue encore, et le sujet s’enfonce un peu plus dans l’incompréhension, parfois dans la honte.
Ce n’est pas un masochisme. C’est une logique du manque : ce qui n’a pas été intégré revient, non pour être répété à l’identique, mais dans l’espoir d’être symbolisé.
Quand une douleur, une injustice, une perte n’a pas pu être pensée, ni partagée, elle s’imprime ailleurs — dans le corps, dans le comportement, dans les choix de vie.
Ce n’est pas tant le passé que l’on répète, c’est le silence autour de ce passé.
Il y a des traumatismes, des secrets, des hontes qui ne se transmettent pas par la parole, mais par les actes, les silences, les loyautés invisibles.
Certains patients rejouent la souffrance d’un parent, le deuil non fait d’un grand-parent, ou une culpabilité qui n’est pas la leur, mais qui s’est logée en eux comme une dette à payer.
C’est ce que la psychanalyse appelle transmission intergénérationnelle, ou parfois fantôme : un mort dans le placard qui fait retour à travers les vivants.
Répéter, alors, c’est tenter d’élucider ce qui a été tu, ce qui n’a pas eu droit à une sépulture psychique.
Elle se déguise. Elle prend des visages différents. Mais elle laisse ce goût amer : “Encore ?”
À chaque fois, vous pensez que cette fois, ça ira autrement. Mais le fil invisible tire dans la même direction.
Ce ne sont pas les faits qui comptent : c’est ce qu’ils réveillent.
C’est là que l’on peut entendre l’écho d’un autre temps, d’une autre scène.
Le présent est saturé d’un passé non digéré.
Ces phrases qui vous échappent, mais qui reviennent dans la bouche de vos proches, de vos enfants, de vos collègues…
Ce que vous croyez singulier à vous seul se rejoue ailleurs. C’est que vous êtes pris dans une structure, une mise en scène dont vous ignorez encore le script.
Répéter, c’est être habité par une parole qui n’a pas été prononcée, mais qui cherche encore à faire trace.
Le psychanalyste n'interrompt pas la répétition. Il l’accueille. Il la laisse advenir, dans le cadre, dans la relation, dans le discours. Il ne vous empêche pas de répéter — il vous aide à entendre ce qui, dans cette répétition, vous parle.
Un mot de travers. Un rêve. Un oubli. Une phrase lancée comme une blague. Tout ce qui trébuche dans la parole est suspecté d’être porteur d’un sens refoulé, d’une vérité non encore dite.
Et parfois, la répétition elle-même surgit dans la relation au thérapeute : une déception, un rejet anticipé, une peur de l’abandon. Ce n’est pas un accident : c’est le transfert.
Ce que vous avez toujours vécu se rejoue dans le cadre thérapeutique, avec un partenaire cette fois formé à l’accueillir, à ne pas y répondre sur le même plan, à en faire matière d’interprétation.
Ce n’est pas un récit linéaire, ni une vérité figée. C’est un travail de subjectivation, où le patient commence à entendre ce qu’il mettait en scène, sans en avoir conscience.
Lorsque j’ai reçu Julien, 42 ans, fraîchement séparé, il venait "comprendre pourquoi ça recommence toujours pareil". Trois relations longues, trois femmes différentes, et toujours une rupture brutale au moment où l’engagement devenait plus concret. Dans ses mots, le même scénario se rejouait : "Tout va bien, et puis je me sens envahi, je suffoque, je fuis. "En explorant son histoire, un souvenir d’enfance a émergé : celui de sa mère quittant le domicile familial après une violente dispute, sans prévenir, le laissant seul face à un père effondré. Depuis, chaque relation sérieuse réactivait à son insu cette peur de l’abandon, au point qu’il préférait fuir avant de "revivre ça". Ce n’est que lorsque la répétition a été mise en mots qu’il a pu commencer à s’en dégager, et construire un lien autrement.
Le patient ne change pas du jour au lendemain. Mais il cesse d’être entièrement pris dans la boucle.
Il gagne un espace d’écart, une possibilité d’interprétation, un souffle là où il n’y avait que compulsion.
Et parfois, dans ce frayage délicat entre mots et silences, la répétition se tait. Pas parce qu’on l’a éradiquée. Mais parce qu’on l’a entendue.
Si elle revient, c’est que ça ne s’est pas dit. Pas encore.
Et c’est là que la psychanalyse change radicalement la donne. Là où la psychologie du comportement voit dans la répétition un conditionnement à corriger, la psychanalyse y voit un savoir en attente de sujet, une vérité à décoder, un appel à penser ce qui n’a pas été pensé.
La répétition est le langage que l’inconscient emploie quand les mots manquent.
Plutôt que de lutter contre, il s’agit d’écouter. De suivre le fil. De remonter la trace, jusqu’à ce noyau dur, cet insupportable premier, ce point de rupture qui a figé le langage.
Ce n’est pas une régression. C’est une traversée.
« Le malade ne se souvient pas de ce qu’il a oublié ou refoulé, il le répète. Il le répète sans le savoir, et dans des conditions qui, pour dire vrai, ne lui apportent aucun profit. » — Sigmund Freud, « Remémoration, répétition, perlaboration », 1914
Vous ne tombez plus dans les mêmes pièges de la même manière. Vous n’attendez plus des autres qu’ils réparent ce que personne n’a su entendre.
Vous devenez celui qui peut regarder ce qui revient, et choisir ce que vous en faites.
Il ne s’agit pas de guérir, au sens médical. Il s’agit de trouver une position vivable face à ce qui, jusque-là, vous emportait. C’est le passage du réagir au répondre. Du destin subi à l’histoire singulière.
Ce que vous répétez peut devenir ce que vous transformez.
Ce que vous agissez peut devenir ce que vous élaborez.
Ce que vous subissez peut devenir ce que vous comprenez — enfin.
Tant que cela reste silencieux, cela revient. Mais dès que cela commence à se dire, une autre histoire devient possible.
Ce n’est pas un renoncement au passé, ni une réécriture de la réalité : c’est la possibilité de ne plus en être prisonnier.
Ce n’est pas une faute de volonté ni un manque d’intelligence : c’est souvent un indice que quelque chose ne s’est pas symbolisé. Un travail thérapeutique permet d’en repérer les contours.
La répétition agit comme un mécanisme psychique de défense et de survie, même si elle vous fait souffrir. Tant que ce qui se rejoue n’a pas été mis en mots, reconnu, il continue d’exercer son emprise. Sortir de la répétition n’est pas une question de force : c’est une question d’élaboration.
Mais certaines répétitions sont créatrices, structurantes : apprendre, ritualiser, transmettre. C’est quand la répétition devient compulsion, blocage, auto-sabotage qu’elle mérite d’être interrogée. En thérapie, on ne cherche pas à abolir toute répétition, mais à en distinguer la nature : ce qui répète pour maintenir en vie, et ce qui répète pour vous empêcher de vivre.
Nous avons tous des points d’ancrage psychiques autour desquels nous gravitions sans toujours en avoir conscience. Ce qui varie, c’est le degré de souffrance qu’elle induit, et le moment où cela devient un frein. Tant qu’une répétition ne pose pas problème, elle reste discrète. Mais quand elle entrave la liberté, la joie, la créativité, c’est qu’il est temps de l’interroger sérieusement.
Mais souvent, ce qui se répète s’ancre au-delà du conscient. La thérapie offre un espace spécifique, hors du quotidien, où le sens peut émerger autrement. Ce n’est pas indispensable pour tous, mais pour ceux qui souffrent d’une répétition qu’ils ne comprennent pas, l’accompagnement par un professionnel formé à l’écoute de l’inconscient peut faire une vraie différence.
Elle s’attache à en comprendre le sens latent, à en déplier les mécanismes inconscients, à traverser le transfert. Là où certaines approches veulent corriger ou éviter, la psychanalyse accueille, écoute et interprète. C’est un travail en profondeur, souvent plus long, mais qui permet des transformations durables là où d’autres démarches proposent des ajustements plus superficiels.
C’est dans la relation à l’autre que se rejouent nos premières expériences affectives : attachement, abandon, reconnaissance, rejet. Les partenaires deviennent, sans le vouloir, les écrans de projection de ces vécus anciens. Ce n’est pas un hasard si l’amour réveille autant de peurs et de blessures : c’est le théâtre vivant de notre histoire inconsciente, là où la répétition cherche sa résolution… ou sa répétition.
Ce que vous ne nommez pas se transmet dans le silence, dans les actes, dans les attitudes. Plus vous mettez en mots votre histoire, vos blessures, vos contradictions, plus vos enfants seront libres de ne pas les rejouer. La parole ne supprime pas tout, mais elle désamorce, désenchevêtre, désamorce. Il n’y a pas de parent parfait. Il y a des parents qui travaillent à comprendre.
Ce qui ne peut se dire dans l’état de veille apparaît dans le rêve sous forme d’images, de scènes, de récits parfois absurdes, mais riches de sens. Une même émotion, une même situation onirique qui revient régulièrement peut signaler une scène fondamentale non élaborée. Le rêve est un langage, et comme tout langage, il mérite d’être déchiffré, avec un autre, dans un cadre qui le permet.
L’enfance n’est pas un musée de souvenirs figés, mais le temps où les premières expériences relationnelles ont forgé nos réponses affectives, nos positionnements face à l’amour, au manque, à la séparation. Comprendre une répétition ne signifie pas rester fixé dans le passé : c’est lui redonner une place symbolique, pour que le présent ne soit plus saturé de l’ancien. Ce n’est pas regarder en arrière, c’est dégager l’horizon.