Dans certaines familles, un enfant mobilise toute l’attention en raison d’une maladie, d’un handicap ou d’un trouble sévère. Et pendant ce temps, un autre enfant s’efface, sans faire de bruit. On l’appelle le glass child — l’enfant de verre. Non pas parce qu’il est fragile, mais parce qu’on le traverse du regard, sans le voir. Il devient le "bon élève", l'enfant parfait, sage comme une image, celui qui ne dérange pas, au prix de ses besoins niés. Ce qui suit explore le vécu silencieux de ces enfants oubliés, leur résilience discrète, et l’importance de leur offrir enfin une place à part entière dans la famille.
Avant de plonger en détail dans le vécu des "glass children", résumons.
Ce terme désigne les enfants ayant grandi dans une famille où un frère ou une sœur était porteur d’un trouble grave : maladie, handicap, addiction, autisme, trouble psychique sévère… Loin d’être épargnés, ces enfants ont souvent appris à faire silence sur leurs propres besoins. Invisibles, mais pas indemnes, ils sont nombreux à porter les traces silencieuses d’un déséquilibre familial.
Allez, c’est parti…
Lorsque j’ai reçu Camille, 27 ans, elle m’a dit ceci, presque en s’excusant : « Je ne sais pas ce que je fais ici. J’ai eu une enfance normale. C’est mon frère qui allait mal, moi j’étais… la gentille. » Au fil des séances, des failles sont apparues. Une adolescence à s’effacer. Des crises d’angoisse qu’elle n’osait pas nommer. Un sentiment confus : avoir toujours été vue sans être regardée. Comme si son rôle, depuis toujours, avait été de ne pas déranger.
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Dans les familles où un enfant mobilise toute l’attention — en raison d’un handicap, d’un trouble du comportement, ou d’une pathologie grave — le frère ou la sœur "ne posant pas de problème" devient le bon élève, le discret, le raisonnable. Il s’adapte, se tait, et attend.
Ce que l’on voit ? Leur calme. Ce que l’on ne voit pas ? Leur solitude.
L’image du verre traduit aussi l’absence de filtres protecteurs : le glass child est souvent exposé aux conflits, à l’angoisse parentale, aux scènes violentes ou aux crises de l’enfant "prioritaire", sans qu’on ne le protège ou ne l’accompagne dans ce qu’il vit. Il devient un témoin silencieux des drames familiaux, avec cette consigne implicite : tu es fort(e), tu n’as pas besoin d’aide.
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Ces enfants, devenus adultes, parlent souvent de leur adaptabilité précoce, de leur besoin de ne pas déranger, et d’un rôle qu’ils n’ont pas choisi : celui d’être "celui qui va bien".
À l’âge adulte, ces enfants peuvent :
En apparence solides, ils ont appris à tenir bon. Mais ce sont souvent des "bons soldats" épuisés à force d’avoir tout supporté sans jamais rien dire.
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Ils ont souvent grandi en niant leur propre douleur, pensant que leur souffrance n'était pas légitime, comparée à celle de l’enfant malade. Pourtant, ces blessures, non reconnues et non dites, laissent des traces profondes.
Une blessure invisible n’est pas moins douloureuse. Elle agit en silence, sous la peau du souvenir, et parfois, c’est le corps qui parle à sa place.
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Car quand un enfant va toujours "trop bien" dans une famille en détresse, il se peut qu’il se soit mis en retrait, de peur de prendre trop de place.
Ce n’est pas l’enfant qui est trop sage : c’est souvent la famille qui ne lui a pas laissé d’autre choix.
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Mais il n’est jamais trop tard pour nommer ce vécu, reconnaître les blessures silencieuses, et redonner une voix à celui ou celle qu’on a été.
La reconnaissance du passé ne change pas l’histoire, mais elle permet d’en guérir les cicatrices.
Que vous soyez parent, thérapeute ou concerné par ce vécu, rappelez-vous : un enfant trop sage est parfois un enfant qui souffre sans bruit.
« Le problème, ce n’est pas ce que l’on a vécu, c’est ce qu’on n’a pas pu dire. »
— Boris Cyrulnik
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Il devient « l’enfant qui ne pose pas de problème », sage, discret, mature… mais souvent au prix de sa propre souffrance. Transparent aux yeux de l’entourage, il se rend invisible pour ne pas déranger. Ce rôle laisse des blessures invisibles qui peuvent resurgir à l’âge adulte.
Il joue souvent le rôle de médiateur dans la famille. Il peut sembler très mature, mais cette sagesse précoce est souvent le masque d’une profonde solitude. À l’adolescence ou à l’âge adulte, cela peut se traduire par de l’anxiété, une difficulté à dire non, ou un sentiment d’inexistence intérieure. Le "trop sage" est parfois celui qui souffre en silence.
Le fait d’avoir été mis de côté émotionnellement, de s’être suradapté toute l’enfance, peut créer un terrain propice à la dépression. Le glass child a souvent refoulé ses émotions et n’a jamais appris à reconnaître ses propres besoins. Cela peut conduire à une tristesse chronique, une fatigue émotionnelle, ou un sentiment de vide. Heureusement, un accompagnement thérapeutique peut permettre d’en sortir et de réparer ces blessures enfouies.
D’autres signes peuvent inclure une hyper-adaptabilité, un besoin de plaire à tout prix, une culpabilité à exister ou à réussir, et une tendance à vous oublier pour les autres.
Cela commence par reconnaître ce que vous avez vécu : non, vous n’exagérez pas. Ensuite, un accompagnement thérapeutique peut vous aider à remettre de la lumière sur cette part de vous qui a appris à se taire. Guérir, c’est aussi vous autoriser à exister, à dire non, à ressentir. Ce processus demande du temps, mais il peut transformer durablement votre rapport à vous-même.
Et c’est tout à fait humain. Le glass child se sent souvent coupable de ces émotions, car il pense qu’il n’a pas le droit de les éprouver. Il aime profondément son frère ou sa sœur, mais a aussi souffert de ne pas exister à côté. Ces sentiments ambivalents méritent d’être entendus et accueillis, sans jugement. Ils sont la clé d’une réparation affective.
Ouvrir le dialogue peut être libérateur, à condition que l’espace soit suffisamment sécurisé. Parfois, une thérapie familiale ou une médiation avec un professionnel permet de mettre les mots justes, sans accusation. Ce n’est pas une mise en cause, c’est une demande de reconnaissance. Dire « moi aussi, j’ai souffert » est un acte profondément réparateur.
Il peut tomber dans des relations déséquilibrées, où il donne beaucoup sans recevoir. Parfois, il rejoue inconsciemment le rôle de l’aidant, ou s’efface pour ne pas déranger. Mais en prenant conscience de ces mécanismes, il est possible de construire des relations plus équilibrées, plus nourrissantes, et plus justes.
Dites-lui qu’il a le droit d’être triste, jaloux, ou en colère. Ne le chargez pas de responsabilités d’adulte. Si besoin, proposez-lui un espace thérapeutique pour qu’il puisse parler librement, en dehors du système familial. L’aider, c’est lui redonner sa juste place : celle d’un enfant, avec ses propres besoins.
Des témoignages sont disponibles en anglais (sur YouTube ou dans des articles de psychologie). Certains ouvrages sur les fratries invisibilisées évoquent ce vécu. Et bien sûr, un·e psychologue spécialisé·e en thérapie familiale ou individuelle pourra vous guider dans vos recherches et votre parcours.
Si vous avez été, ou êtes encore, un glass child, rappelez-vous ceci :
Ce n’est pas parce que vous avez tenu sans bruit que vous devez continuer à souffrir en silence.
Vous avez le droit d’exister. De ressentir. De parler. Et d’être entendu.
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