Comment la thérapie familiale peut réparer les blessures du lien ?
15/5/2025

Comment la thérapie familiale peut réparer les blessures du lien ?

Avez-vous déjà eu l’intuition que certaines de vos souffrances ne vous appartiennent pas entièrement ? Comme si un poids s'était glissé en vous depuis l’enfance, sans origine précise, sans souvenir marquant, mais avec une intensité troublante ? Un mal-être diffus, une honte sans cause, une angoisse flottante, ou encore des comportements que vous ne comprenez pas chez vous… ou chez vos enfants ? Et si ces manifestations n’étaient pas le fruit de votre seule histoire individuelle, mais l’expression d’un maillage familial déchiré ? Et si, à travers vous, ce qui cherche à se dire, ce n’était pas un trauma personnel, mais une blessure transmise en silence, génération après génération ? Dans nos familles, tout ne se dit pas, mais beaucoup se transmet. Des paroles, certes, mais aussi des silences. Des secrets, des exclusions, des morts sans adieux, des abandons, des identités incertaines. Ce qui ne peut pas se symboliser se dépose autrement : dans le corps, dans les symptômes, dans les répétitions. C’est à cette transmission psychique invisible que s’intéresse le pédopsychiatre et psychanalyste Pierre Benghozi, en développant une grille de lecture fascinante : celle du maillage des liens. Une approche clinique, théorique et métaphorique qui permet de penser la famille non seulement comme un réseau relationnel, mais comme un tissu vivant de liens, de contenants, de transmissions conscientes et inconscientes. Quand ce maillage se rompt, que des mailles se trouent, que la trame familiale se déchire, c’est souvent le symptôme qui surgit — comme un signal, une tentative de réparation, un cri silencieux. Ici, nous allons explorer : Comment se construisent ces liens invisibles qui tissent nos identités, En quoi la transmission intergénérationnelle et transgénérationnelle façonne notre rapport au monde, Pourquoi certains symptômes sont en réalité des tentatives de remaillage psychique, Et comment la thérapie familiale psychanalytique peut offrir un espace de reconstruction du lien et du sens.

Ce qui nous relie : la fabrique invisible des liens familiaux

On parle souvent des relations familiales comme si elles se résumaient à des interactions visibles : qui parle à qui, qui aime qui, qui s’engueule avec qui.

Mais au-delà des mots échangés, il existe quelque chose de plus profond, de plus structurant : le lien.

Le lien familial n’est pas un simple contact affectif. Il est ce qui nous inscrit dans une filiation, une appartenance, une histoire. C’est un ancrage psychique et symbolique. Un lien, au sens psychanalytique, n’est pas seulement ce qui relie : c’est ce qui construit. Il façonne notre identité, notre place, notre inscription dans la chaîne des générations.

Deux grands types de liens organisent la vie psychique familiale :

Le lien de filiation (axe vertical) :

il nous relie à nos ascendants (parents, grands-parents, arrière-grands-parents…) et à nos descendants (enfants, petits-enfants…), mais aussi à ceux qui ne sont pas encore nés, dans une temporalité dite "compacte". Il structure le sentiment d’origine et d’héritage, souvent chargé d’inconscient familial.

Le lien d’affiliation (axe horizontal) :

il relie les membres d’un groupe à une appartenance commune : fratrie, couple, institution, communauté, école… Il répond à la question : "J’en fais partie ou non ?", "Suis-je inclus, exclus, adopté, toléré, choisi… ?"

Ces deux types de liens s’entrelacent dans nos vies pour constituer un maillage familial, une sorte de filet psychique. C’est ce maillage qui nous tient, nous contient, nous porte — ou nous laisse tomber quand il est troué.

Dans les familles dites "classiques", recomposées, adoptives, homoparentales, migrantes, ou marquées par le silence et le secret, ce maillage peut devenir fragile, instable, voire invisible. Et quand aucune maille ne soutient l’identité, le sujet chute. Il ne tombe pas dans le vide relationnel, mais dans l’absence de lien symbolique.

C’est ici que surgissent, souvent en silence, les troubles du lien : sentiment d’abandon existentiel, recherche effrénée de reconnaissance, besoin d’hyper-appartenance ou au contraire repli extrême… Et parfois, le symptôme.

Quand la transmission fait mal sans qu’on comprenne pourquoi

Dans certaines familles, il ne s’est rien passé de spectaculaire.

Pas d’abus, pas de violence, pas de conflit ouvert. Et pourtant, un mal-être circule.

Une forme de tristesse héréditaire, un flottement identitaire, un poids dans l’air qui échappe aux mots.

C’est que tout ne se transmet pas par le langage. Il existe une transmission invisible, non verbale, sensorielle, parfois inconsciente, que Pierre Benghozi qualifie de transmission psychique inter et transgénérationnelle. Une mémoire sans souvenir, faite de traces et d’empreintes.

La trace, l’empreinte : quand le passé se dépose autrement

Une trace, c’est ce qui s’inscrit :

un mot entendu, une scène observée, une lettre retrouvée, un regard. Elle laisse une marque, une inscription psychique.

Une empreinte, c’est plus subtil :

le souvenir d’un passage, une présence-absence. C’est une émotion sans image, une sensation sans origine. Comme un creux dans la neige, une forme laissée par ce (ou celui) qui n’est plus là. L’empreinte, c’est la mémoire de l’indicible.

Ce sont ces traces et empreintes qui s’infiltrent dans les liens et tissent une mémoire familiale souterraine. Une histoire que personne ne raconte, mais que tout le monde incarne à sa manière : dans les corps, dans les rêves, dans les silences.

Une transmission sans transformation : le transgénérationnel brut

Lorsqu’un événement douloureux — deuil, exil, abandon, violence, secret — n’a pas pu être élaboré psychiquement, il peut se transmettre tel quel, sans être transformé.

C’est ce que Benghozi appelle la transmission transgénérationnelle : ce qui "surfe" entre les générations sans être métabolisé.

Ce n’est plus une histoire transmise, mais un affect brut, une angoisse nue, une faille non dite qui circule dans la lignée. Et qui s’exprime un jour chez un enfant ou un adolescent, sans que l’on comprenne pourquoi il va si mal.

C’est alors que surgit le symptôme. Non pas comme une simple manifestation de souffrance individuelle, mais comme le porteur d’un secret familial, le révélateur d’un maillage troué.

Quand le lien se rompt, le symptôme apparaît

Dans certaines familles, ce n’est pas un événement en particulier qui fait souffrir, mais un maillage qui s’est défait sans bruit.

Une maille trop lâche, un trou dans le filet… et soudain, quelqu’un chute.

Ce peut être un enfant, un adolescent, un adulte en pleine réussite apparente — mais quelque chose craque : une dépression, une addiction, un trouble alimentaire, une conduite à risque, une rupture brutale.

Le symptôme n’est pas une pathologie, c’est une tentative de survie

Dans l’approche de Pierre Benghozi, le symptôme n’est pas le problème. Il est une réponse, un signal d’alarme, une tentative désespérée de tenir debout malgré une trame familiale déchirée.

Le symptôme colmate une béance, remplit un vide, occupe une place laissée vacante dans le lien.

  • Un adolescent ultra-performant à l’école devient le garant du prestige familial pour éviter que tout ne s’effondre.
  • Une jeune adulte multiplie les relations amoureuses éphémères, non pas par légèreté, mais pour combler un manque d’inscription symbolique dans le lien filial.
  • Un parent enchaîne les burn-out, portant en silence une loyauté invisible à un parent abandonné, humilié, ou jamais reconnu.

Ce ne sont pas des "troubles" à corriger, ce sont des cris d’un lien blessé, des gestes pour tenter de remailler une trame intérieure disloquée.

Symptôme individuel, souffrance collective

Le plus troublant, c’est que le symptôme est souvent porté par une seule personne, mais il appartient à l’ensemble du maillage familial.

Il est le réceptacle d’une faille collective.

C’est le petit-fils qui devient phobique alors qu’il porte le nom d’un grand-père disparu dans la guerre et jamais mentionné. C’est la fille qui arrête de s’alimenter dans une famille où la maternité a toujours été un terrain de conflit, de perte ou de silence.

Dans ces cas-là, ce n’est pas le sujet qu’il faut "soigner", c’est le maillage familial qu’il faut explorer, écouter, retisser.

Le symptôme comme tentative de réparation

Et si ce que l’on appelait communément "trouble" ou "comportement problématique" n’était, en réalité, qu’une tentative de réparation psychique ? Une solution bricolée face à un vide familial, une faille dans le maillage des liens, une douleur héritée et silencieuse ?

C’est l’hypothèse centrale du modèle de Pierre Benghozi : le symptôme ne vient pas casser l’ordre, il tente de le reconstruire. C’est un effort (souvent désespéré et maladroit) pour tenir ensemble ce qui menace de s’effondrer.

Le symptôme colmate là où le lien est absent

Imaginez un filet troué. Vous n’avez pas de fil, pas d’aiguille. Alors vous coincez un caillou, une branche, un morceau de tissu, quelque chose, n’importe quoi… pour éviter la chute. C’est ça, un symptôme.

Ces symptômes ne sont pas absurdes, ils font fonction de suture. Ils disent, à leur manière, qu’il y a quelque chose qui cloche dans le lien, pas seulement dans la personne.

Une lecture radicalement différente du symptôme

Dans cette perspective, on ne cherche pas à faire disparaître le symptôme à tout prix. On le regarde comme un messager. On s’interroge : que tente-t-il de maintenir en place ? Que vient-il cacher ? Quelle maille a cédé ?

Ce renversement de regard est essentiel. Il permet :

  • de déculpabiliser la personne porteuse du symptôme,
  • de dépathologiser la souffrance,
  • et d’engager un travail thérapeutique non plus sur l’individu seul, mais sur la structure de lien dans laquelle il s’inscrit.

C’est ainsi que le symptôme devient un signal précieux, un levier pour explorer la transmission, et peut-être, à terme, un point d’entrée vers une réparation plus profonde du maillage familial.

Filiation, affiliation : deux types de liens, une même blessure

Dans toute construction familiale, deux forces se combinent et organisent la vie psychique : la filiation et l’affiliation.

Ces deux types de liens fondamentaux sont les piliers invisibles du maillage identitaire.

Lorsque l’un de ces liens est blessé, c’est l’ensemble du maillage familial qui se fragilise, parfois sans que quiconque en ait conscience.

La filiation : d’où je viens

Le lien de filiation nous inscrit dans une lignée. Il relie le sujet à ses ascendants — parents, grands-parents, aïeux — et à ses descendants — enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants, y compris ceux qui ne sont pas encore nés.

Ce lien structure notre place dans la chaîne des générations, et avec elle notre rapport à l’origine, à la transmission, à la continuité psychique. Lorsqu’il est clair et reconnu, il soutient le sentiment d’identité. Mais lorsqu’il est flou, occulté, mensonger (par exemple en cas d’adoption non dite, de paternité incertaine, de secret de famille), il crée une faille profonde dans l’inscription symbolique du sujet.

Un enfant dont la filiation est niée peut se construire comme s’il était suspendu dans le vide. Il existe biologiquement, affectivement, mais nulle part il ne sait vraiment « d’où » il vient.

Lire aussi : L'amour mère-fils, peut-on vraiment aimer trop fort ?

L’affiliation : à quoi j’appartiens

L’affiliation désigne le lien horizontal d’appartenance à un groupe : fratrie, couple, institution, culture, communauté. Elle répond à une autre question essentielle : « À qui suis-je rattaché ? Avec qui suis-je reconnu ? Où est mon "chez-moi psychique" ? »

La fratrie, par exemple, est un groupe affiliatif primaire, fondé sur des liens de filiation communs, mais aussi sur des expériences partagées, des alliances, des exclusions. Les recompositions familiales, les adoptions, les séparations ou les ruptures d’attachement mettent à rude épreuve la stabilité de ces liens affiliatifs, parfois sans le dire.

Quand un enfant ne sait plus très bien « à quelle famille il appartient », ou quand il est coincé entre plusieurs appartenances en conflit (famille biologique vs famille adoptive, parents divorcés, couples homoparentaux avec GPA…), il est souvent pris dans un maillage instable, source d’angoisse identitaire.

Filiation et affiliation, toujours entremêlées

Ces deux types de liens ne s’opposent pas, ils s’enchevêtrent.

Ils tissent la toile psychique dans laquelle le sujet peut grandir, penser, rêver, désirer.

Mais lorsque l’un des deux se dérobe, lorsque le lien de filiation est brouillé ou que l’affiliation devient insécure, le sujet perd ses appuis symboliques. Il ne sait plus vraiment qui il est, ni d’où il vient, ni à qui il appartient.

Et c’est souvent là que les symptômes surgissent : non pas pour créer le chaos, mais pour tenter, à leur manière, de recréer une cohérence intérieure là où le lien s’est effiloché.

Recréer un filet : la fonction thérapeutique du remaillage

Quand le maillage familial est troué, quand les liens sont rompus, effacés, ou jamais tissés, il ne suffit pas d’en parler. Il faut reconstruire un contenant psychique capable de soutenir une transformation.

C’est là tout l’enjeu de la thérapie familiale psychanalytique : aider la famille à remailler ce qui a été déchiré.

Ce que la parole ne suffit pas à faire

La psychanalyse traditionnelle mise sur la parole, le rêve, le fantasme, l’interprétation. Mais que faire lorsque le sujet n’a même pas de quoi rêver ? Lorsque la marmite psychique est trouée, que le contenant est défaillant, que le traumatisme n’a jamais été symbolisé ?

Dans ces cas-là, la parole ne peut pas s’élaborer, et l’interprétation reste stérile. Il faut d’abord reconstruire un contenant. C’est-à-dire offrir à la famille un espace qui fasse fonction de "filet psychique collectif", capable de contenir l’angoisse, de soutenir une élaboration, de permettre une rêverie commune.

La co-rêverie thérapeutique : un espace pour recoudre le lien

Dans la clinique du remaillage, le thérapeute ne se pose pas comme un expert interprétant. Il devient co-tisseur du lien, présence contenante, figure de rêverie partagée. Ce n’est pas tant l’analyse des discours qui soigne, que la possibilité d’inventer ensemble un nouveau récit, une co-narration.

Ce processus de remaillage passe par :

  • L’accueil du symptôme comme messager,
  • La création d’un espace narratif partagé,
  • La mobilisation du contre-transfert sensoriel du thérapeute (ce qu’il ressent dans son corps, son imaginaire, ses images flottantes),
  • Et surtout, la reconnaissance de la souffrance familiale non dite, qui cherche une figurabilité.

Recréer un filet, ce n’est pas recoller les morceaux, c’est inventer une nouvelle trame. Un néo-contenant.

Un espace thérapeutique comme marmite psychique

Benghozi parle d’appareil à métaboliser les vécus bruts, une sorte de marmite collective où les émotions crues, les douleurs indicibles, les héritages impensés peuvent cuire lentement jusqu’à devenir pensables, partageables, digestes.

C’est une transformation radicale du cadre thérapeutique :

  • On ne traite plus un symptôme individuel, on soigne un espace relationnel troué.
  • On ne cherche pas un pourquoi, mais on soutient une fonction contenante collective.
  • On ne pense pas en termes de culpabilité ou de dysfonctionnement, mais en termes de lien blessé à retisser.

C’est là que la famille, comme groupe, retrouve peu à peu sa capacité à rêver, à penser, à faire circuler la parole, à retrouver une forme de continuité psychique, si fragilisée par les silences, les secrets ou les effractions.

Ce n’est pas un conflit relationnel, c’est un problème de lien

Dans beaucoup de familles, on confond le lien et la relation.

On pense que ce qui va mal, ce sont les disputes, les tensions, les malentendus.

Pourtant, dans de nombreux cas, le lien est blessé sans qu’il y ait de conflit manifeste. Et inversement, des relations houleuses peuvent s’inscrire dans un lien solide, structurant, sécurisant.

Relation vs lien : une distinction essentielle

  • La relation, c’est ce qui se passe entre les personnes : les échanges, les mots, les gestes, les regards, les émotions manifestes. Elle est observable, dynamique, et souvent changeante.
  • Le lien, lui, est plus profond, plus archaïque, plus symbolique. Il structure l’identité. Il dit : « Tu es ma mère, je suis ton enfant », « Tu fais partie de ma lignée », « J’ai une place dans cette famille ».

Une relation peut être conflictuelle mais le lien rester clair.

Un parent peut s’opposer à son adolescent, poser des limites, refuser une sortie nocturne : la tension relationnelle est forte, mais le lien de filiation est net, reconnu, contenant.

À l’inverse, il peut exister une grande douceur apparente, une absence totale de conflit, et pourtant… un lien vicié, incertain, effacé, qui crée une souffrance bien plus profonde.

C’est le cas, par exemple, d’un enfant adopté dont les origines lui ont été cachées : il peut avoir une relation harmonieuse avec ses parents adoptifs, mais ressentir un vide existentiel, un flottement identitaire, une angoisse sourde.

Le lien est là… mais pas clair, pas pleinement symbolisé.

Quand le symptôme surgit sans orage relationnel

Ce sont souvent ces familles « où tout va bien » qui s’inquiètent d’autant plus lorsque l’un de leurs membres développe un symptôme : anorexie, phobie scolaire, mutisme, troubles anxieux…

« On ne comprend pas, il ne s’est jamais rien passé de grave »
« On s’entend bien »
« Il a toujours été entouré, aimé »

Oui. Mais un lien peut être troué sans être maltraitant.

Ce n’est pas l’affection qui est en cause, c’est l’inscription symbolique dans une trame psychique cohérente. La question n’est pas « vous êtes-vous disputés ? », mais plutôt : « Qui est qui dans ce système ? Qu’est-ce qui se transmet ? Qu’est-ce qui est tu ? »

Un symptôme peut venir dire l’indicible du lien

  • L’enfant qui « ne tient pas en place » peut porter la mémoire d’un grand-père humilié ou d’un exil non symbolisé.
  • L’adolescente qui refuse de se nourrir peut incarner une rupture dans la transmission maternelle.
  • Le jeune homme sans motivation peut être le dépositaire d’un fantôme familial, d’un deuil inachevé, d’un lien effacé.

Dans tous ces cas, le symptôme n’a pas pour origine un désaccord relationnel, mais un dérèglement du lien. Ce n’est pas la qualité des interactions qui est en jeu, mais la structuration symbolique du maillage familial.

Comment savoir si c’est un problème de lien ? Quelques signes qui alertent

Un problème de lien n’est pas toujours bruyant.

Il ne se manifeste pas nécessairement par des cris, des ruptures visibles ou des conflits ouverts. Il agit en silence, dans les creux, dans les absences, dans ce qui ne s’énonce pas.

Alors comment repérer ces blessures invisibles, ces trous dans le filet psychique, avant qu’ils ne prennent la forme d’un symptôme éclatant ?

Voici quelques signes d’alerte, souvent banalisés, mais qui peuvent révéler une atteinte du lien plutôt qu’un simple désaccord relationnel.

Une sensation de vide ou d’illégitimité existentielle

Vous avez l’impression de ne pas vraiment faire partie de votre famille, comme si vous étiez un figurant dans un récit qui vous échappe. Vous vous sentez étranger, illégitime, même si on vous dit que tout va bien.

Ce sentiment est fréquent chez :

  • les enfants adoptés, surtout en cas de non-dits sur leurs origines,
  • les membres de familles recomposées où les rôles sont flous,
  • les personnes issues de lignées traumatisées, avec des morts, des abandons ou des secrets non élaborés.

Une impossibilité à se positionner clairement dans les liens

Difficulté à dire "je", à dire "non", à dire "j’appartiens", à dire "je quitte".

Comme si toute décision personnelle impliquait trahir quelqu’un, ou rompre une loyauté invisible. C’est souvent le cas dans les familles où les générations ne sont pas différenciées, où les rôles se confondent (l’enfant-parent, la sœur-mère…).

Des symptômes récurrents sans cause identifiable

Un mal-être chronique, une angoisse persistante, une addiction tenace… malgré un suivi, une thérapie, des efforts.

C’est peut-être que le problème n’est pas en vous, mais dans un lien défaillant autour de vous. Un lien qui ne vous contient pas, ou mal. Un trou dans le filet familial qui vous laisse exposé à l’angoisse.

Des silences pesants autour de certains sujets ou personnages

  • Un membre de la famille dont on ne parle jamais.
  • Une date qui suscite gêne ou évitement.
  • Un récit familial incohérent, flou, fragmenté.

Le silence est souvent l’indice d’un lien blessé, voire dénié.

Ce qui ne peut pas se dire ne disparaît pas : cela s’imprime ailleurs — dans le corps, le comportement, le symptôme.

Des conflits internes entre loyauté et liberté

Vous rêvez de partir, mais quelque chose vous retient. Vous voulez vous affirmer, mais vous culpabilisez. Vous portez le poids d’un passé qui ne vous appartient pas vraiment, mais auquel vous semblez lié par une force obscure.

Ces tensions intérieures peuvent être les effets de transmissions transgénérationnelles non élaborées, ou de liens d’appartenance mal définis.

Ce que la thérapie peut réparer : du lien au récit partagé

Quand les liens familiaux sont blessés, flous ou effacés, il ne suffit pas de parler, de s’expliquer ou de pardonner.

Il faut d’abord créer les conditions psychiques pour que quelque chose puisse se dire, se penser, s’élaborer collectivement.

Et cela ne peut advenir que dans un espace thérapeutique contenant, conçu non pas pour juger, mais pour accueillir l’indicible, recueillir les fragments, et remailler ce qui a été défait.

Le but n’est pas de comprendre, mais de symboliser

Dans la thérapie familiale psychanalytique, on ne cherche pas d’abord le "pourquoi".

On ne cherche pas une explication logique au symptôme. On cherche à donner forme à ce qui n’a pas pu se formuler, à inscrire dans le langage, dans le récit, dans la représentation, ce qui jusque-là n’était que ressenti brut, douleur muette, héritage sans mots.

Le symptôme est alors vu comme un support de transformation : il ouvre une brèche dans le silence, il crée un point d’entrée vers l’invisible, il permet d’initier un récit nouveau, partagé, collectif.

Le thérapeute comme co-contenant, pas comme interprète

Dans cette approche, le thérapeute ne vient pas imposer un savoir ni décrypter des symboles.

Il devient partie prenante d’un processus de co-construction psychique. Par sa présence, son écoute, ses résonances, il participe à la création d’un néo-contenant. Un espace psychique commun où la famille peut enfin re-rêver son histoire, réorganiser ses places, transformer la douleur en narration.

La thérapie familiale devient alors un atelier de tissage : chacun y amène son fil – parfois noué, emmêlé, cassé – pour le mêler à ceux des autres, sous l’étayage discret mais structurant du thérapeute.

Quand la parole ne suffit pas, c’est le cadre qui soigne

Il arrive que les mots ne viennent pas. Que le trauma soit trop enfoui, trop diffus, trop honteux.

Dans ces cas-là, le cadre thérapeutique devient lui-même un soin. Il fait fonction de "marmite psychique collective", un lieu stable, fiable, répétitif, dans lequel les membres de la famille peuvent éprouver la sécurité, ressentir l’inscription, et peu à peu retrouver la capacité de rêver.

Cette dimension contenante est d’autant plus précieuse dans les situations de :

C’est dans cette coconstruction patiente d’un espace symbolisant, dans ce travail de remaillage thérapeutique, que le symptôme peut cesser d’être le seul langage disponible pour dire la douleur.

FAQ – Blessures familiales, transmission inconsciente et thérapie

Qu’est-ce qu’un secret de famille et pourquoi peut-il faire souffrir plusieurs générations ?

Un secret de famille est un événement ou une information volontairement cachée, souvent chargé de honte ou de douleur.

Même s’il n’est pas formulé, il laisse des traces inconscientes dans le maillage familial. Ces silences peuvent se transmettre sous forme de symptômes, de malaises ou de troubles identitaires, souvent chez les descendants. C’est pourquoi travailler les transmissions intergénérationnelles en thérapie familiale permet d’apaiser ces blessures invisibles, en remettant du sens là où il n’y avait que du non-dit.

Comment un traumatisme vécu par un ancêtre peut-il affecter les enfants ou petits-enfants ?

Lorsqu’un traumatisme (guerre, exil, deuil, abandon…) n’est pas élaboré par celui qui le vit, il peut se transmettre inconsciemment aux générations suivantes.

C’est ce qu’on appelle une transmission transgénérationnelle. Ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui se transmettent, mais les émotions figées, les loyautés invisibles, les trous dans le lien familial. Cela peut provoquer chez les descendants un sentiment d’angoisse, de vide ou de culpabilité sans origine claire. La thérapie familiale psychanalytique aide à mettre en mots ce qui n’a jamais pu l’être.

Comment savoir si je porte un héritage familial inconscient ?

Vous pouvez suspecter un héritage familial inconscient si vous ressentez un mal-être persistant, une culpabilité diffuse, des blocages ou des répétitions de situations douloureuses sans cause identifiée.

Si vous avez l’impression de rejouer une histoire qui n’est pas la vôtre, ou si certaines thématiques (abandon, trahison, honte…) reviennent dans votre lignée, il est possible que vous soyez porteur d’un symptôme transgénérationnel. Une thérapie familiale ou individuelle, avec un travail sur le lien de filiation et d’affiliation, peut vous aider à clarifier ce qui se transmet à travers vous.

Pourquoi certains enfants développent des troubles alors que tout semble aller bien dans la famille ?

Un enfant peut développer un trouble du comportement, de l’anxiété, ou un symptôme physique alors que tout semble « normal » à l’extérieur.

Cela peut s’expliquer par un problème de lien symbolique : une filiation floue, une affiliation instable, un secret de famille, une place mal définie dans la structure. Ce n’est pas la relation apparente qui pose problème, mais l’inscription psychique dans la famille. Le symptôme vient parler à la place du lien blessé. Un accompagnement thérapeutique permet de réparer le maillage familial.

Peut-on guérir des blessures transgénérationnelles même si on ne connaît pas toute l’histoire familiale ?

Oui. Il n’est pas nécessaire de tout savoir pour réparer les effets d’un trauma transmis.

Ce qui compte, c’est de reconnaître la souffrance, de l’accueillir, et de l’élaborer symboliquement. En thérapie, ce qui ne peut pas être raconté peut souvent être ressenti, représenté, mis en récit autrement. Le corps, les rêves, les émotions parlent à leur manière. Le travail thérapeutique permet de construire un nouveau contenant psychique même à partir d’éléments flous. Il s’agit avant tout de réparer le lien, pas de reconstituer les faits.

La thérapie familiale est-elle utile même quand une seule personne présente un symptôme ?

Oui, car le symptôme individuel peut révéler un déséquilibre dans le maillage familial.

Même si un seul membre semble souffrir, il peut porter à lui seul une charge émotionnelle transmise, une faille dans la filiation, ou une confusion des places. La thérapie familiale psychanalytique permet d’explorer ces liens invisibles et de restaurer un contenant psychique groupal. En travaillant ensemble, la famille retrouve une cohérence symbolique et le symptôme peut alors cesser d’être le seul langage de la souffrance.

Les émotions non exprimées des parents peuvent-elles se transmettre aux enfants ?

Oui, et cela arrive plus souvent qu’on ne le pense. Les émotions refoulées comme la culpabilité, la peur, ou la colère peuvent se transmettre inconsciemment via les liens de filiation et d’affiliation.

L’enfant ressent alors un affect flou, un mal-être sans cause visible. Il peut même incarner émotionnellement ce que ses parents n’ont jamais pu dire. C’est ce qu’on appelle un transfert de charge émotionnelle intergénérationnelle. La thérapie familiale aide à remettre en circulation ces affects pour éviter qu’ils ne pèsent sur les descendants.

Existe-t-il un lien entre troubles psychosomatiques et transmission familiale inconsciente ?

Oui, de nombreux troubles psychosomatiques peuvent s’expliquer par une transmission psychique silencieuse, un trauma familial non élaboré, ou un secret de filiation. Le corps parle quand le psychisme n’a pas les mots.

Ce sont souvent des mailles trouées du lien familial qui provoquent ces symptômes : le corps devient le porteur du message muet. En thérapie familiale ou individuelle, il est possible de travailler ces transmissions invisibles, de remettre du sens, et de soulager le corps en réparant le lien.

Comment se transmettent les traumatismes dans les familles sans qu’ils soient racontés ?

Les traumatismes non élaborés laissent des empreintes émotionnelles, même sans récit verbal. Ces traces se transmettent par des silences pesants, des attitudes, des régulations émotionnelles implicites.

L’enfant ressent un affect flottant, un danger invisible, ou un devoir de loyauté implicite. C’est ce qu’on appelle une transmission transgénérationnelle par identification projective. Ces mécanismes peuvent être travaillés en thérapie psychanalytique des liens, où l’objectif est de nommer l’indicible, de restaurer la clarté des filiations, et de rompre les chaînes inconscientes.

Peut-on remailler les liens familiaux même après plusieurs générations ?

Oui, il n’est jamais trop tard pour réparer un lien. Même après plusieurs générations, il est possible de mettre au travail ce qui a été transmis sans conscience, de restituer une place à ceux qui ont été effacés, et de réinscrire symboliquement les lignées.

La thérapie familiale psychanalytique ne cherche pas à reconstituer une vérité historique, mais à redonner une structure psychique aux héritages invisibles. Ce travail de remaillage, à travers le récit, la co-rêverie et l’écoute, permet de libérer les descendants d’un poids qui ne leur appartient pas entièrement.

Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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