Les concepts de psychose et de névrose constituent des points fondamentaux de distinction en psychiatrie et en psychanalyse. Chacun désigne des troubles mentaux profondément distincts, tant par leurs symptômes que par leur impact sur la perception de la réalité et sur la souffrance du patient. Comprendre la différence entre psychose et névrose, c’est s’engager dans un questionnement sur la nature de la souffrance psychique et ses manifestations.
Le mot « psychose » vient du grec psukhē (qui signifie « âme ») et osis (maladie). Il évoque l’idée d’une « maladie de l’âme », un état où la perception de la réalité devient si perturbée que le sujet semble parfois se perdre dans un monde qui n’existe que pour lui.
C’est au XIXe siècle que la psychose prend une définition plus précise dans la psychiatrie moderne. Ce terme regroupe des troubles comme la schizophrénie, la paranoïa et les troubles bipolaires avec épisodes psychotiques, qui se manifestent par une rupture du lien avec le réel. Imaginez un instant vivre dans un monde où des voix vous parlent, où des visages inconnus semblent vous surveiller ou où vous sentez constamment que des forces invisibles vous contrôlent. Ces phénomènes, effrayants et déroutants, traduisent cette perte d’ancrage dans la réalité partagée (Bleuler, 1911).
Plus tard, Freud lui donnera une nouvelle dimension, en voyant la névrose comme une sorte de bataille intérieure. C’est le combat d’un esprit qui, malgré tout, essaie de rester ancré dans le réel. Contrairement à la psychose, où la personne perd pied, la névrose représente une souffrance plus discrète mais constante. La personne reste consciente de ses peurs et de ses angoisses, même si elle sait, quelque part, que ces émotions sont parfois irrationnelles (Freud, 1924).
En somme, psychose et névrose se rejoignent dans la souffrance qu’elles infligent, mais elles se distinguent par cette relation unique à la réalité. Dans la psychose, l’individu semble dériver loin de la réalité commune, tandis que dans la névrose, il s’accroche au monde, malgré le tumulte intérieur. Ce sont deux façons de vivre un déséquilibre entre soi et le monde, que Freud et Lacan ont tenté de décoder pour donner un sens aux manifestations de l’inconscient.
Les hallucinations et les délires viennent envahir son esprit. Par exemple, quelqu’un en pleine crise de schizophrénie peut entendre des voix qui lui donnent des ordres, le critiquent, voire l’isolent du monde. Ce que vit la personne n’est pas symbolique ou imaginaire pour elle ; ces voix sont réelles, autant que peuvent l’être pour nous les voix de ceux qui nous entourent (Andreasen, 1999).
Je vous renvoie pour l'exemple à l'excellent film "Un homme d'exception", particulièrement pertinent pour illustrer les complexités de la psychose et la lutte entre réalité et perception intérieure. Ce film, inspiré de la vie de John Nash, un mathématicien brillant atteint de schizophrénie paranoïde, met en lumière la manière dont une psychose peut déformer la réalité d’une personne, transformant ses perceptions en hallucinations et en délires qui influencent profondément sa vie.
À travers la lutte de Nash, Un homme d'exception montre bien cette rupture avec le monde que la psychose peut causer, tout en explorant le difficile chemin vers l’acceptation de la condition et la mise en place de stratégies pour distinguer le réel de l’illusion. Le film éclaire également les défis thérapeutiques liés à la psychose : le besoin d’un accompagnement à la fois bienveillant et patient, pour permettre au sujet de reconstruire des repères et de retrouver une certaine stabilité.
Elle ne nous coupe pas du réel, mais elle le colore d’une teinte d’angoisse ou de malaise. Une personne souffrant de TOC sait que vérifier plusieurs fois si la porte est bien fermée n’est pas rationnel, mais elle le fait quand même pour apaiser une angoisse intérieure. C’est une lutte constante entre la conscience que ces peurs sont irrationnelles et le besoin de trouver une forme de soulagement. Là où la psychose représente une immersion totale dans un monde parallèle, la névrose est une tension qui, malgré tout, garde le sujet ancré dans le monde partagé (Kring et al., 2012).
Freud décrit la névrose comme un conflit intérieur où le Moi essaie de se défendre contre des désirs ou des peurs refoulés, alors que la psychose, pour lui, est un échec plus radical dans l’organisation psychique. Lacan approfondit cette idée en parlant de « forclusion », un concept complexe où l’individu n’a pas réussi à symboliser certains éléments essentiels à son équilibre. Ainsi, la psychose devient un monde où les repères de la réalité sont éclatés, tandis que la névrose reste une lutte entre la volonté de contrôler et la difficulté à se libérer des peurs intérieures (Lacan, 1959).
La psychose est souvent liée à des prédispositions génétiques et des anomalies neurobiologiques. On sait aujourd’hui que des altérations au niveau des neurotransmetteurs, comme la dopamine, jouent un rôle clé dans des troubles comme la schizophrénie. Cependant, ces facteurs biologiques sont souvent exacerbés par des éléments extérieurs. Un stress intense, un traumatisme précoce ou des événements de vie difficiles peuvent précipiter ou aggraver les symptômes de la psychose, même chez des personnes avec une base génétique propice (Tamminga & Medoff, 2000).
Pour la névrose, c’est une autre histoire. Ici, les conflits intérieurs, souvent nés d’expériences précoces ou de relations familiales, prennent une place importante. Freud explique la névrose comme une lutte constante entre les pulsions de l’inconscient et les exigences du Surmoi. Une enfance marquée par l’insécurité ou par un environnement critique peut pousser l’individu à développer des mécanismes de défense qui, au fil du temps, se cristallisent en symptômes névrotiques. Par exemple, des relations familiales instables ou un environnement émotionnel incertain peuvent amener une personne à adopter des comportements de protection qui, avec le temps, se manifestent sous forme d’anxiété ou de TOC (Bowlby, 1988).
Freud parle de cette rupture comme un échec du Moi à gérer les pulsions de l’inconscient, ce qui entraîne des manifestations comme les délires et les hallucinations. Lacan approfondit cette idée en introduisant le concept de « forclusion », qui signifie que certains éléments nécessaires pour structurer l’esprit n’ont pas été intégrés, laissant le sujet sans repères pour symboliser la réalité. Cela se traduit par une désorganisation intérieure qui rend la réalité insaisissable (Lacan, 1959).
En psychanalyse, le psychothérapeute devient un ancrage, une figure qui aide le patient à retrouver des repères dans un environnement sûr. Il ne s’agit pas de pousser la personne vers l’introspection immédiatement, mais de lui offrir un espace où elle peut commencer à restaurer un sens de sécurité et de continuité. La psychothérapie pour la psychose est donc une démarche très patiente et progressive, où chaque pas vers le réel est une petite victoire.
Freud explique que la névrose traduit des conflits non résolus, souvent liés à des émotions refoulées et à des peurs anciennes. Lacan décrit la névrose comme un désir inconscient non assouvi, qui pousse le sujet à répéter certains comportements pour tenter de soulager une angoisse cachée. Par exemple, une personne atteinte de TOC répète des rituels pour contrôler un monde intérieur qu’elle craint de voir s’effondrer (Freud, 1923).
Dans la psychothérapie pour la névrose, le travail consiste à éclairer ces conflits sous-jacents, pour que le patient puisse prendre conscience de ses peurs et de ses désirs refoulés. En explorant les origines de ses angoisses, la personne peut peu à peu se libérer de la rigidité de ses comportements et retrouver un équilibre.
La psychanalyse, par les apports de Freud, Lacan, et bien d’autres, nous offre une perspective unique sur ces expériences, permettant à chacun d’explorer les profondeurs de son esprit pour tenter de trouver un équilibre.
Cependant, comme le disait Freud : « Nous ne pouvons que substituer à la misère névrotique l’acceptation du malheur commun. » Cette phrase, empreinte d’un réalisme profond, nous rappelle que la souffrance fait partie intégrante de la condition humaine. La psychanalyse ne vise pas un bonheur parfait, mais plutôt une compréhension et une acceptation de soi plus profonde. La guérison n’est pas l’élimination totale de la douleur, mais la transformation de cette souffrance intime, en une capacité à embrasser le « malheur commun » avec une conscience apaisée.
Si la psychothérapie peut alléger la « misère névrotique » en nous libérant des conflits intérieurs, elle ne peut nous exempter des défis inhérents à la vie. Mais elle peut, tout de même, nous aider à marcher sur ce chemin, armés d’une compréhension de nous-mêmes qui éclaire notre route, et nous rend plus capables de faire face aux joies et aux malheurs que la vie met sur notre chemin.
Bleuler, E. (1974). Dementia praecox ou groupe des schizophrénies (J. K. Fraisse, Trad.). Paris : Presses Universitaires de France (Œuvre originale publiée en 1911)
Bowlby, J. (2004). Une base sécurisante : Applications cliniques de la théorie de l'attachement (S. Benghozi, Trad.). Paris : PUF (Œuvre originale publiée en 1988)
Freud, S. (1981). Le moi et le ça (J. Laplanche, Trad.). Paris : PUF (Œuvre originale publiée en 1923)
Freud, S. (1988). Névrose, psychose et perversion (J. Laplanche et al., Trad.). Paris : PUF (Œuvre originale publiée en 1924)
Kring, A. M., Johnson, S. L., Davison, G. C., & Neale, J. M. (2016). Psychopathologie (L. Servant, Trad.). Bruxelles : De Boeck Supérieur (Œuvre originale publiée en 2012)
Lacan, J. (1966). Écrits. Paris : Éditions du Seuil
Tamminga, C. A., & Medoff, D. R. (2000). Avancées dans la compréhension des troubles psychotiques : Mécanismes et traitements. American Journal of Psychiatry, 157(11), 1739–1747