À l’heure où l’intelligence artificielle s’invite dans nos vies les plus intimes, une question émerge : peut-on vraiment confier sa souffrance à une machine, aussi brillante soit-elle ? Si ChatGPT impressionne par sa réactivité, sa clarté et sa capacité d’analyse, il reste un outil — non un interlocuteur. La thérapie, elle, repose sur un lien incarné, un silence partagé, une présence qui ne s’automatise pas. Ce texte n’est pas un réquisitoire contre la technologie, mais un rappel essentiel : ce n’est pas la réponse qui soigne, c’est la rencontre. Et celle-ci ne s’imite pas.
Rencontrer un vrai psy à Versailles
Je ne suis pas technophobe.
Je parle à ChatGPT moi aussi. Par curiosité, par jeu, parfois par fatigue. Il formule bien. Il comprend vite. Il impressionne. Et il donne parfois cette étrange illusion d’être là pour vous, disponible à toute heure, prêt à tout entendre sans jamais ciller.
Mais l’illusion ne dure qu’un temps. Car entre une réponse fluide et une rencontre humaine, il y a un gouffre.
Un gouffre que seule la parole incarnée peut traverser.
De plus en plus de personnes confient leurs états d’âme à une IA. C’est immédiat, rassurant, gratuit. Elle ne vous interrompt pas. Ne vous regarde pas. Ne vous renvoie aucun malaise. Elle parle comme un psy, cite Freud ou Winnicott sans trembler, et vous accompagne dans la nuit avec des phrases bien tournées.
Mais une phrase bien tournée ne vous tourne pas vers vous-même.
Elle ne contient pas vos sanglots.
Elle ne traverse pas vos silences.
Elle ne vous regarde pas vous effondrer — et surtout, elle ne reste pas quand vous touchez le vide.
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En cabinet, je reçois des femmes et des hommes qui ont tout essayé : les podcasts, les guides, les forums, les IA empathiques. Ils arrivent pleins d’informations, mais vides de lien.
Plus savants sur leurs symptômes.
Mais toujours seuls avec leur douleur.
Un symptôme, ce n’est pas un problème à résoudre. C’est un appel, souvent obscur, qui cherche une oreille vivante pour trouver sa forme. Or une IA n’a pas d’oreille, pas de corps, pas d’inconscient. Elle ne tombe jamais des nues. Elle ne doute pas. Elle ne ressent rien.
Et c’est précisément ce qui la rend incapable de vous rencontrer là où vous êtes.
En séance, il n’y a pas que les mots. Il y a un souffle. Un silence. Une tension dans le regard. Une hésitation dans la voix. Un tremblement dans mes mains parfois.
Il y a de l’humain, donc du risque.
De l’imprévu.
Du trouble.
C’est là, dans ce trouble partagé, que quelque chose commence à se dire autrement.
Ce n’est pas une belle réponse qui soigne.
C’est le fait qu’elle surgisse dans un cadre humain, soutenu par un autre être humain, qui ne vous traite pas, mais vous reçoit.
Un psy n’optimise pas votre pensée. Il attend, parfois longtemps, que vous puissiez entendre votre propre voix. Il ne cherche pas la performance, mais l’émergence. Il ne vous donne pas une solution rapide : il vous accompagne à traverser, à tâtons, vos contradictions, vos douleurs anciennes, vos vérités enfouies.
ChatGPT, lui, peut formuler, mais ne peut pas contenir.
Il peut analyser, mais pas s’émouvoir.
Il peut "écouter", mais il ne vous entendra jamais comme le ferait quelqu’un qui a connu, lui aussi, l’impossible à dire.
Alors non.
ChatGPT ne remplacera jamais un psy.
Pas parce qu’il est mauvais.
Mais parce qu’il est parfaitement imperméable au réel.
Et c’est justement ce réel, parfois rugueux, parfois déroutant, qui soigne.
Ce réel, c’est la présence de l’autre.
Un autre qui ne vous corrige pas.
Qui ne vous évalue pas.
Qui reste, même quand vous n’avez plus les mots.
Dans un monde qui valorise l’instantané, la maîtrise et l’illusion d’autonomie, la psychothérapie rappelle la beauté subversive de la lenteur, de la faille, du lien.
Et peut-être qu’au fond, c’est cela qui résiste encore à l’intelligence artificielle :
le fait que nous ne soyons pas seulement des machines à penser,
mais des corps en relation,
fragiles, sensibles, désirants — et capables, ensemble, de créer du sens là où il n’y avait que du silence.
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