Nous croyons choisir librement notre métier, notre partenaire, notre style de vie. Mais bien souvent, nos décisions sont déjà en partie écrites, brodées de fils invisibles : ceux des rêves parentaux, des peurs transmises, des récits familiaux inachevés. Ce que nous appelons « projet de vie » est parfois une tentative de réparation, un acte de loyauté inconsciente. Dans cet article, nous plongeons au cœur de ces influences silencieuses. Pour comprendre ce qui nous détermine. Pour interroger ce que nous voulons vraiment. Et, peut-être, pour commencer à écrire enfin l’histoire que nous n’avons jamais osé vivre.
Prendre rdv en thérapie individuelle à Versailles
Les projets de vie ne sont jamais de simples plans rationnels. Ils sont faits d’espoirs, de manques, d’ambitions et de blessures. Chaque parent écrit pour lui-même une histoire – parfois celle qu’il n’a pas pu vivre – et tisse, consciemment ou non, une trame pour ses enfants. Cette transmission, souvent invisible, peut porter comme elle peut enfermer. Comment distinguer ce qui nous appartient de ce qui nous a été légué ? Comment construire un projet qui libère plutôt qu’il n’enchaîne ? Allez, c’est parti…
Lorsque j’ai reçu Camille, 17 ans, elle m’a dit : « Mes parents veulent que je devienne médecin. Moi, j’aime écrire et je rêve de littérature. Mais je n’ose pas leur dire. » Derrière ce conflit, il ne s’agissait pas seulement d’un choix d’orientation scolaire. Il y avait l’histoire d’un père qui avait renoncé à ses propres ambitions d’études, d’une mère qui rêvait de sécurité sociale et financière, et d’une adolescente qui cherchait à trouver sa voix – et surtout sa voie – dans ce tissu de désirs, de peurs et d’attentes.
Selon une enquête menée par l’INSEE (2023), 62 % des étudiants français déclarent que leurs parents ont fortement influencé leur choix d’orientation. Et près de 45 % estiment qu’ils auraient choisi autrement s’ils avaient été totalement libres. Dans les Yvelines, où la pression scolaire est élevée, les psychologues et psychanalystes constatent une augmentation des consultations liées au mal-être des adolescents face aux attentes parentales.
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« Ce n’est pas parce qu’on connaît son histoire qu’on est libre, c’est parce qu’on a pu la réécrire. » — Serge Tisseron
Nous croyons décider librement, mais en réalité, nous écrivons souvent avec une plume déjà tenue par d’autres.
La psychanalyse nous rappelle que nous ne décidons jamais en terrain neutre : nous sommes traversés par des désirs qui ne sont pas entièrement les nôtres.
📌 Prenons un exemple : un adolescent qui choisit médecine « parce qu’il aime aider les autres ». Derrière ce noble idéal peut se cacher une fidélité implicite à un parent qui a renoncé à soigner, mais aussi – et plus tragiquement – à un parent que cet enfant n’a pas pu sauver. La vocation se nourrit alors d’un sentiment de dette invisible : devenir médecin (ou infirmière) pour réparer, guérir, compenser une impuissance ancienne.
Dans ce type de trajectoire, le choix professionnel n’est pas seulement un élan personnel, il est chargé d’une mission quasi rédemptrice : redonner vie là où la mort, l’échec ou la maladie ont marqué la famille. Comme le soulignent Nicolas Abraham et Maria Torok, les secrets et traumas des générations passées se transmettent sous forme de « fantômes » psychiques. L’enfant devient alors, à son insu, le porteur de ces histoires inachevées.
On comprend mieux pourquoi tant de patients disent en séance : « Ce choix, c’est moi… mais pas complètement. » Derrière le projet, il y a le désir propre, certes, mais aussi l’ombre des désirs parentaux et des blessures transmises.
En consultation, j’entends souvent cette phrase : « Je ne sais pas si je choisis pour moi ou pour eux. » Cette confusion n’est pas un hasard : elle est le signe que le projet de vie est tissé dans un dialogue souterrain avec nos ancêtres, un dialogue qui précède même notre naissance.
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Tout parent veut transmettre le meilleur, mais parfois, dans ce geste d’amour, s’immisce une tentation inconsciente : faire de son enfant le miroir idéalisé ou la marionnette docile de ses propres désirs.
Ces dynamiques ne sont pas toujours brutales ni conscientes. Elles s’expriment dans des phrases anodines : « Tu as de la chance, tu peux faire ce que je n’ai pas pu faire… » ou « On compte sur toi pour réussir. » Derrière l’encouragement se cache une assignation symbolique : l’enfant doit porter le flambeau, coûte que coûte.
La psychanalyse montre que l’enfant, pris dans ces fils invisibles, oscille entre deux positions :
Mais un miroir peut se fissurer et une marionnette peut couper ses fils. C’est souvent à l’adolescence que la révolte éclate, car le jeune cherche à dire : « Je suis moi, et pas seulement ton reflet. » Cette séparation, nécessaire mais douloureuse, est le passage obligé vers l’autonomie psychique.
👉 En consultation à Versailles, il n’est pas rare de recevoir des parents désemparés : « Mon enfant ne veut plus continuer dans la voie qu’on avait imaginée pour lui. » Ce refus n’est pas une trahison. Il est souvent le signe qu’un adolescent commence enfin à construire un projet de vie qui lui ressemble.
Dans les accompagnements thérapeutiques que je mène à Versailles, cette question revient souvent :
« Comment être loyal sans m’oublier ? »
Et je réponds parfois : « Peut-être en cessant de confondre amour et devoir. »
Voici quelques étapes-clés pour commencer à se dégager des fils invisibles de l’héritage familial :
Certaines phrases ont la légèreté de l’anodin, mais la lourdeur de l’héritage :
Ces mandats transgénérationnels, souvent implicites, façonnent des attentes puissantes, auxquelles il est difficile de désobéir sans culpabilité.
Se poser cette question simple (et vertigineuse) : « Si je n’avais personne à satisfaire, ni à décevoir, que choisirais-je ? »
Cet exercice de clarification peut être inconfortable, car il fait émerger des désirs censurés depuis l’enfance. Mais il est essentiel pour reprendre la main sur son projet de vie.
Ce n’est qu’en cessant d’être l’enfant parfait, l’élève modèle ou l’adulte conforme, que l’on accède à une existence subjective pleine et entière. Comme le disait Winnicott, « Ce n’est pas à l’enfant de s’adapter à la mère, mais à la mère de s’adapter à l’enfant. »
Le travail psychanalytique permet de mettre à jour les loyautés inconscientes, d’identifier les aliénations silencieuses et de redonner du sens aux choix passés. On y découvre parfois que ce qu’on croyait être une vocation n’était qu’un emprunt familial bien emballé. Et que le véritable projet, le nôtre, attendait qu’on l’écoute depuis longtemps.
Cela veut dire retrouver une place singulière dans la constellation familiale, celle de sujet désirant, pas de figurant dans une pièce écrite par d’autres. En osant être soi, on peut même, parfois, apaiser les conflits transgénérationnels et initier une transmission plus libre pour les générations à venir.
La psychanalyse ne donne pas de solutions toutes faites : elle ouvre des possibles là où tout semblait figé.
Dans l’espace thérapeutique, on découvre que ce projet de vie qu’on croyait « personnel » est en réalité tissé de dettes symboliques, d’attentes silencieuses, de fidélités inconscientes.
Et pourtant, ce n’est pas une condamnation. C’est le point de départ.
La première puissance de la psychanalyse, c’est la mise en mots. En parlant, en associant librement, en revenant sur des souvenirs anodins, le patient découvre peu à peu les origines inconscientes de ses choix.
Ce n’est qu’en comprenant l’histoire qui nous habite que nous pouvons en devenir l’auteur.
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La psychanalyse révèle des mécanismes que nous ignorions totalement :
Ces mouvements intérieurs agissent comme des courants sous-marins. Tant qu’on ne les voit pas, on les subit. Mais dès qu’ils émergent à la conscience, ils deviennent modulables.
Ce que propose la psychanalyse, ce n’est pas de renier sa famille ou de tout envoyer valser. C’est d’inventer un rapport plus libre à l’héritage, de distinguer ce qui relève de l’amour, de la loyauté, de la peur ou du fantasme.
Et de faire de la place à son propre désir, non plus censuré ou étouffé, mais assumé.
« Le sujet, c’est celui qui se dégage de l’Autre », écrivait Jacques Lacan.
Dans le cabinet du psychanalyste, ce dégagement ne se fait pas dans la rupture, mais dans la transformation du lien.
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Écrire son projet de vie, ce n’est pas tourner le dos à son histoire, c’est apprendre à en choisir les chapitres.
Tant que nous confondons notre désir avec celui des autres, nous risquons de vivre en pointillés, à côté de nous-mêmes.
Mais dès lors que nous acceptons de voir ce qui nous a été transmis, et parfois imposé, une autre voie s’ouvre : celle d’un choix véritablement subjectif.
La psychanalyse ne délivre pas de projet clé en main. Elle offre l’espace nécessaire pour entendre ce qui cherche à advenir en nous, au-delà des mandats familiaux, des répétitions inconscientes et des injonctions silencieuses.
Et si c’était cela, finalement, réussir sa vie : ne plus être le produit d’un héritage, mais le sujet d’un chemin choisi ?