Avant de donner la vie, faut-il d’abord regarder la sienne en face ? De plus en plus de voix s’élèvent pour rappeler qu’un enfant n’efface pas les blessures du passé. Au contraire, il les réveille. Peurs viscérales, colères incontrôlées, répétitions familiales… Et si faire une psychanalyse avant de devenir parent permettait de ne pas transmettre à l’aveugle ce que l’on n’a jamais pu dire ? À l’heure où la santé mentale périnatale devient un enjeu majeur, cette démarche intime devient un acte lucide, éthique et profondément réparateur. Pour aimer, sans confondre. Pour transmettre, sans contaminer.
On devrait tous faire une psychanalyse ou une psychothérapie avant d’avoir un enfant, avant même d’être en couple. L’analyse permet de comprendre ses angoisses viscérales, instinctives, et les réactions violentes qui vont avec. Et, surtout, de ne pas transmettre ses névroses. » Sarah Biasini, fille de Romy Schneider
Et si, avant même de transmettre la vie, il nous fallait soigner la nôtre ? Derrière cette proposition radicale — faire une psychanalyse avant d’être en couple ou parent — se cache une intuition puissante : nos souffrances non élucidées peuvent devenir celles de nos enfants. Cet article explore cette idée à la lumière de la psychanalyse, de la psychologie du développement et de la clinique actuelle de la parentalité.
Allez, on entre dans le vif.
La question n’est donc pas tant « suis-je prêt(e) à avoir un enfant ? », mais plutôt : qu’est-ce que je rejouerai inconsciemment à travers cet enfant ?
Nombre de jeunes parents découvrent, souvent avec stupeur, que leur propre bébé fait remonter à la surface des émotions brutes qu’ils croyaient dépassées : irritabilité, peur panique, culpabilité écrasante, impulsions de rejet, détresse inexprimable. Ces manifestations, loin d’être anodines, traduisent l’émergence de zones archaïques du psychisme, souvent liées à des expériences infantiles non symbolisées (Anzieu, 1985 ; Roussillon, 2008).
La psychanalyse, dans ce contexte, devient un outil de prévention symbolique. Elle permet de reconnaître les héritages affectifs invisibles, les attentes non formulées, les carences encore actives. Elle ouvre un espace pour penser, avant d’agir et de transmettre.
L’enjeu n’est pas d’atteindre une perfection parentale illusoire, mais d’humaniser la transmission, en ne la laissant pas aux seules mains du passé non digéré.
« Ce qui n’a pas été symbolisé fait retour dans l’acte. » (Green, 1990)
Cette démarche introspective est d’autant plus précieuse qu’elle permet de ne pas confondre les besoins de l’enfant avec ceux du parent blessé, et de se rendre disponible à l’autre… en cessant d’attendre qu’il nous répare.
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Ce que l’on appelle parfois "instinct parental" est en réalité une mécanique complexe faite de réactivations inconscientes, de blessures non cicatrisées et de fantômes familiaux.
Lorsqu’un enfant paraît, il ne fait pas que naître : il convoque. Il convoque notre passé, nos figures d’attachement, nos désirs inassouvis, nos terreurs anciennes. Et souvent, il fait surgir ce que nous n’avons jamais osé regarder en face.
De nombreux parents en témoignent : la fatigue n’explique pas tout. Une colère incontrôlable face aux pleurs, un repli affectif inexpliqué, une anxiété insupportable à l’idée de "mal faire"... Ces réactions disproportionnées sont souvent les signes d’un matériel psychique ancien, non symbolisé (Roussillon, 2008 ; Anzieu, 1985).
« L’enfant réveille l’infantile chez le parent. Il convoque ce qui n’a pas été élaboré. » (Roussillon, 2008)
Dans ce contexte, la psychanalyse n’est pas un luxe existentiel, mais un filet de sécurité psychique. Elle permet de distinguer ce qui relève de notre propre histoire de ce que l’enfant est en train de vivre. Elle ouvre un espace pour penser l’impensé, avant qu’il ne surgisse dans l’agir.
« Le parent qui n’a pas reconnu ses propres blessures les lègue sans le vouloir à l’enfant. » (Kaës, 2009)
Faire une analyse avant de devenir parent, c’est reconnaître que l’enfant n’est pas une page blanche ni un projet. Il est un sujet en devenir, qui mérite d’être accueilli dans un espace désencombré des résidus traumatiques du passé parental.
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On croit souvent, avec sincérité, qu’un amour immense suffira. Que parce qu’on aime son enfant "plus que tout", il ne souffrira pas. Que l’amour réparera ce qu’on a vécu, qu’il empêchera toute répétition. Mais l’amour seul ne suffit pas.
Car aimer n’empêche ni de projeter, ni de répéter. On peut aimer son enfant et l’étouffer. L’aimer et le contrôler. L’aimer et être incapable de l’écouter. L’aimer et… lui transmettre malgré soi des blessures invisibles.
« L’amour est une condition nécessaire mais non suffisante de la fonction parentale. Il doit être tempéré par le travail psychique. » (Winnicott, 1953)
Les réactions excessives face à certains comportements d’un enfant — une bouderie, un "non", un retard — sont parfois des signaux d’alarme. Non pas sur l’enfant, mais sur le parent. Sur ce que l’enfant vient réveiller. Une vieille blessure de rejet. Une sensation d’insécurité jamais verbalisée. Une peur de l’abandon inscrite dans le corps.
L’enfant devient alors l’écran de projection d’un passé non symbolisé. Et ce qui ne fut jamais compris devient un acte non maîtrisé : colère, silence, culpabilité, surprotection, exigence de perfection.
Ce décalage entre l’intention (aimer) et l’effet (souffrir ou faire souffrir) est au cœur de la clinique de la parentalité. C’est ce que la psychanalyse nomme la scène de la répétition (Freud, 1920). L’acte inconscient vient dire ce que les mots n’ont jamais pu formuler.
C’est là que le travail thérapeutique prend tout son sens. Non pour juger, ni culpabiliser — mais pour offrir au parent un espace où déposer ce trop-plein émotionnel, élaborer ses propres zones d’ombre, différencier ce qui vient de lui de ce qui appartient à l’enfant.
« Le parent non analysé risque toujours de confondre l’amour avec la réparation de soi. » (Sironi, 2012)
Une psychanalyse avant la parentalité, c’est donc une manière de protéger l’enfant de notre propre histoire, de faire le deuil du parent idéal pour devenir un parent suffisamment bon.
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Pourtant, en psychanalyse comme en thérapie transgénérationnelle, on le sait depuis longtemps : ce que l’on n’élabore pas se transmet. Non par les mots, mais par les gestes, les silences, les émotions figées, les absences de réponse.
« Le traumatisme non symbolisé du parent devient le symptôme de l’enfant. » (Abraham & Torok, 1978)
Ce ne sont pas les événements en eux-mêmes qui font souffrir les générations suivantes, mais ce qui n’a pas été nommé, pensé, intégré. Une angoisse de séparation irrationnelle, un regard fuyant, une réaction excessive à la frustration… peuvent être les échos d’une histoire familiale qui n’a pas trouvé de place psychique.
Et l’enfant, lui, ne comprend pas ce qui lui arrive. Il ressent un malaise diffus. Il sent une charge affective qui ne lui appartient pas, mais qu’il porte quand même.
« Les enfants sentent, perçoivent, héritent de ce que leurs parents ne savent pas dire. » (Kaës, 2009)
Il n’y a pas de neutralité psychique. Un parent transmet ce qu’il a reçu… ou ce qu’il n’a pas pu digérer. Un silence autour d’un deuil, une honte jamais exprimée, une colère rentrée peuvent marquer l’enfant sans un mot. C’est le champ de ce que Nicolas Abraham a appelé le fantôme psychique : un secret qui hante sans être formulé, et qui passe de génération en génération comme un souffle invisible.
Faire une psychanalyse avant d’avoir un enfant, c’est faire cesser la transmission aveugle. C’est prendre le temps de regarder en face ce qui n’a pas été vu, pour éviter que cela n’empoisonne le lien à venir.
Et cela ne concerne pas que les grands traumatismes. Un parent surinvesti, un père distant, une mère anxieuse, une fratrie jalouse… tous ces éléments de l’histoire peuvent produire des effets psychiques dans la parentalité si rien n’est mis en mots, en récit, en sens.
« Ce qui n’a pas été mis en pensée par une génération s’inscrit dans le corps de la suivante. » (Aulagnier, 1975)
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La clinique de la parentalité le montre chaque jour : les premières semaines de vie d’un bébé sont des moments de réactivation massive de l’infantile chez le parent. C’est ce que Daniel Stern (1995) a conceptualisé comme le "parent représenté d’antan" : une version interne du parent nourrie par ses souvenirs précoces, ses fantasmes, ses failles. Et ce parent-là surgit malgré soi, dans des gestes, des silences, des regards, des cris.
« L’enfant ne réveille pas que la tendresse : il convoque aussi la détresse. » (Stern, 1995)
Ainsi, un bébé qui ne dort pas peut raviver une ancienne sensation d’insécurité. Un enfant qui refuse de manger peut réactiver des souvenirs de carence. Un regard fuyant peut replonger le parent dans la terreur d’avoir été ignoré·e ou rejeté·e.
Et lorsque ces affects anciens n’ont pas été nommés, pensés, digérés, ils prennent toute la place. Le parent ne comprend plus ce qui lui arrive. Il réagit sous le coup de l’émotion, sans discernement entre ce qui est présent et ce qui est passé.
C’est à ce moment-là que le travail analytique prend tout son sens. En permettant une mise à distance, une relecture de son propre vécu, une différenciation progressive entre le bébé réel et l’enfant intérieur blessé.
« Le danger n’est pas d’avoir été blessé dans l’enfance, mais de ne pas avoir pu en faire quelque chose. » (Anzieu, 1985)
Faire une psychanalyse avant d’avoir un enfant, c’est installer un espace tampon symbolique entre ce que l’on ressent et ce que l’on transmet. C’est apprendre à trier dans ses émotions ce qui appartient à soi… pour ne pas l’infliger à l’autre.
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Cette motivation, souvent inconsciente, n’a rien de pathologique en soi. Elle est même profondément humaine. Qui n’a jamais rêvé de « faire mieux que ses parents » ? De « donner ce qu’on n’a pas eu » ? De s’offrir enfin une forme de réparation par le lien ?
Mais ce que la psychanalyse nous apprend, c’est que lorsqu’un enfant est investi comme pansement émotionnel, il devient malgré lui un objet de réparation narcissique (Green, 1983).
Non plus un sujet à accueillir, mais un reflet idéalisé d’un soi blessé.
« Ce que l’on attend d’un enfant pour combler un manque risque toujours de l’empêcher d’exister. » (Aulagnier, 1975)
Dans ces cas-là, l’enfant ne vient pas au monde en tant qu’être distinct, mais en tant que représentation d’un manque parental. On attend inconsciemment qu’il console, qu’il rassure, qu’il tienne à lui seul une promesse de renaissance. C’est beaucoup trop de poids pour de si petites épaules.
Le danger n’est pas l’amour, mais l’illusion : croire que l’enfant pourra faire à notre place le travail que nous n’avons pas fait pour nous-même.
Et ce risque n’est pas toujours visible : il peut prendre des formes socialement valorisées. La mère surprotectrice. Le père ultra-investi. Le couple fusionnel avec l’enfant. Mais derrière, parfois, une confusion des rôles s’installe : l’enfant devient objet de consolation, de revanche, de réparation. Et il perd sa liberté d’être simplement… lui.
« L’enfant est souvent aimé pour ce qu’il vient réparer, non pour ce qu’il est. » (Dolto, 1985)
Faire une psychanalyse avant d’avoir un enfant, c’est oser regarder ce vide en face, reconnaître les blessures encore à vif, les désirs cachés de réparation, les fidélités invisibles à une enfance douloureuse.
C’est se réparer, avant de déléguer cette mission à quelqu’un qui n’a rien demandé.
Ce qui n’a pas été nommé dans une génération fait retour sous forme de symptômes dans la suivante (Abraham & Torok, 1978). Ce que les parents ont refoulé, l’enfant l’absorbe. Ce qu’ils ont subi, il peut le revivre — sous une autre forme, dans un autre contexte, mais avec la même intensité.
« L’inconscient est structuré comme un langage, mais ce langage est d’abord celui des autres. » (Lacan, 1960)
La psychanalyse est précisément ce lieu où le langage peut advenir, où le sens peut être reconstruit, où l’histoire peut être détissée pour ne pas être rejouée mécaniquement.
Elle ne fait pas de nous des parents parfaits, mais des parents un peu plus conscients. Elle nous aide à repérer :
« Ce qui n’est pas pensé est agi, et ce qui est agi se transmet. » (Kaës, 2009)
La répétition est l’un des concepts centraux de la psychanalyse (Freud, 1920) : l’être humain a tendance à revivre inconsciemment ce qu’il n’a pas pu symboliser. Or, lorsqu’un enfant entre en scène, il devient souvent l’écran de projection de ces scénarios anciens.
Faire une psychanalyse, c’est se donner la possibilité de rompre avec les automatismes du passé, de déplier ses propres loyautés invisibles, et de faire de la place à une histoire nouvelle.
« Transmettre, ce n’est pas faire hériter. C’est offrir les moyens d’interrompre la répétition. » (N. Zaltzman, 2001)
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Devenir parent, c’est bien plus que changer des couches ou s’inquiéter pour une fièvre. C’est un bouleversement identitaire, corporel, relationnel, et surtout psychique.
« L’enfant vient loger dans un monde psychique préexistant. Il hérite de son atmosphère bien avant de naître. » (Houzel, 2003)
La thérapie — qu’elle soit psychanalytique, intégrative, familiale ou corporelle — devient alors une véritable préparation symbolique à la parentalité.
Elle permet :
Car accueillir un enfant, c’est supporter qu’il ne comble rien. Qu’il dérange, qu’il résiste, qu’il ait ses propres limites, ses propres désirs. Et cela, on ne l’apprend pas dans les livres. On l’apprend en se rencontrant soi-même, parfois pour la première fois.
« On ne peut accueillir un enfant que si l’on a fait de la place en soi. » (Winnicott, 1953)
Faire une thérapie, c’est créer cette place. C’est s’occuper de son intériorité avec autant de soin qu’on s’occupe de la poussette, de la chambre ou du prénom.
C’est se donner la possibilité de ne pas être pris par surprise, de ne pas réagir par automatisme, de ne pas transformer une scène du présent en écho douloureux du passé.
Et si c’était cela, être un parent « suffisamment bon » : avoir osé plonger dans ses failles pour en faire des points d’appui — et non des zones d’aveuglement.
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