L’argent en thérapie : un sujet tabou ou révélateur ? Être psychothérapeute, disait C. Whitaker, « c’est un peu comme devenir une prostituée psychologique professionnelle : une personne qui accepte d’être une imitation de parents, d’incarner le transfert, d’accueillir les projections… en échange d’argent. » Voilà une formule choc, provocante, mais non dénuée de profondeur. Car parler d’argent en psychanalyse ou en psychothérapie, c’est souvent déclencher autant de débats passionnés que ceux sur… l’ananas sur la pizza. Un sujet sensible, ambivalent, chargé de représentations inconscientes, de fantasmes de dette, de culpabilité ou de pouvoir. Imaginez la scène : vous êtes allongé sur le divan, prêt à explorer les tréfonds de votre psyché, mais une petite voix murmure : 👉 « Est-ce que tout cela vaut vraiment ce que je paie ? » Dans notre monde moderne, où le coût des soins psychiques est souvent débattu, où l’engagement financier dans une psychothérapie peut être vécu comme un fardeau ou une libération, il est essentiel de comprendre le rôle de l’argent dans la cure. Car payer une séance de thérapie, ce n’est pas qu’une transaction économique : c’est un acte symbolique, un levier psychique puissant, un miroir de la relation à soi et aux autres. Alors, attachez vos ceintures (ou mieux, allongez-vous confortablement) : on plonge ensemble dans les coulisses inconscientes de l’argent en thérapie, entre histoire de la psychanalyse, symbolique freudienne et enjeux contemporains du soin psychique.
Avant d’explorer la fonction de l’argent dans la cure, revenons un instant sur ce qui a rendu la psychanalyse possible. Car comprendre le cadre psychanalytique implique de saisir ses racines historiques et conceptuelles.
La psychanalyse est née à la fin du XIXe siècle, sous l’impulsion de Sigmund Freud, en Autriche. À cette époque, les troubles psychiques étaient mal compris, stigmatisés et souvent traités de manière brutale ou marginalisante. Freud a alors introduit une révolution : il ne s’agissait plus d’agir directement sur les symptômes, mais d’écouter la parole du patient, de l’aider à mettre en mots l’inconscient, en suivant le fil de ses associations libres.
Ce changement de paradigme a donné naissance à la cure analytique, un processus où le patient parle, le psychanalyste écoute, interprète… et facture ses séances.
Freud n’a jamais caché l’importance de l’argent dans la relation analytique. Dans le célèbre cas de l’Homme aux loups, il écrit :
« Nous sommes habitués à ramener l’intérêt qu’inspire l’argent, dans la mesure où il est de nature libidinale et non de nature rationnelle, au plaisir excrémentiel, et à réclamer de l’homme normal qu’il garde ses rapports à l’argent entièrement libres d’influences libidinales et qu’il les règle suivant les exigences de la réalité. »
Cette phrase, dense mais essentielle, nous montre que l’argent dans la psychanalyse ne se réduit pas à une question de prix ou de rentabilité : il est chargé d’affects, de désirs inconscients, et étroitement lié à la vie pulsionnelle.
Dans la vision freudienne, l’argent n’est jamais un simple outil d’échange. Il est chargé symboliquement, et parfois même… scatologiquement. Oui, lien entre l’argent et les fèces, vous avez bien lu.
Durant la phase anale du développement psychosexuel (entre 18 mois et 3 ans), l’enfant découvre le plaisir et le pouvoir de donner ou retenir ses selles. Le contrôle sphinctérien devient alors une source de gratification, mais aussi une zone de tension entre l’enfant et ses figures parentales.
Freud observe que, pour l’enfant, les fèces représentent les premiers « cadeaux » qu’il peut offrir ou refuser. C’est là que se joue une première forme de pouvoir sur l’environnement :
Avec le temps, ce rapport corporel, affectif et symbolique se déplace sur d’autres objets : l’argent, par exemple. Dans l’économie psychique, les fèces deviennent métaphores de l’argent, et l’argent devient substitut symbolique du contrôle, du don, de la perte, du plaisir et de la honte.
Les comportements financiers d’un individu ne sont jamais neutres. Ils peuvent traduire des dynamiques inconscientes puissantes héritées de cette phase anale. Voici quelques exemples :
Dans l’espace thérapeutique, ces dynamiques archaïques se rejouent souvent, parfois à l’insu du patient :
Autant de signaux inconscients que l’argent dans la cure n’est pas juste un tarif : c’est un révélateur psychique, un lieu de transfert, un miroir de la conflictualité intérieure entre don, perte, dépendance, amour et contrôle.
Le coût des séances n’a jamais été anodin. Il a souvent contribué à l’image d’une thérapie réservée à une élite intellectuelle et bourgeoise. Dans l’imaginaire collectif, consulter un psychanalyste relevait du luxe, d’un privilège culturel, parfois même d’un rite initiatique pour ceux qui pouvaient se le permettre.
Le modèle classique de la cure analytique, avec plusieurs séances par semaine sur plusieurs années, reste inaccessible à une partie importante de la population. Pourtant, cette durée – et donc ce coût – a aussi été pensée comme un levier thérapeutique adaptatif, et non comme une norme rigide.
Dès les premières années, Freud envisage la durée de la cure non pas comme un protocole standardisé, mais comme un processus ajustable, au plus près des besoins psychiques du patient.
Cela signifie que la fréquence, la durée et le coût peuvent évoluer au fil de la cure, selon l’implication du patient, son avancée dans le travail analytique, mais aussi… ses possibilités économiques. Ce modèle flottant reste encore aujourd’hui un pied de nez aux thérapies formatées sur dix séances remboursées.
Une étude publiée dans Le Monde en 2015 montrait des écarts significatifs allant de 35 à plus de 160 euros la séance.
Pour les patients, cette disparité peut générer de la confusion, de la culpabilité, voire un sentiment d’injustice. Pour les thérapeutes, elle renvoie à une question complexe : comment fixer un tarif juste, à la fois respectueux de leur engagement professionnel et accessible aux patients en difficulté ?
C’est un processus thérapeutique au long cours, qui vise à dévoiler, comprendre et élaborer les conflits inconscients qui impactent la vie du sujet.
Au cœur de ce travail :
Chaque séance est un espace singulier, où le sujet met en jeu son rapport au désir, à la loi, à l’autre, et à lui-même.
Elle devient l’outil principal du soin, mais aussi le terrain où les répétitions, les résistances et les fantasmes s’actualisent. Parfois, le symptôme s’atténue ; parfois, il se transforme en porte d’entrée vers une compréhension plus profonde du psychisme.
Le psychanalyste n’est pas un coach, ni un conseiller. Il accueille ce qui émerge, sans jugement, dans un cadre bien défini, où chaque élément – y compris le paiement – a une fonction.
Il fait partie intégrante du processus thérapeutique. Il inscrit le sujet dans une logique d’engagement, de responsabilisation et de valeur attribuée à son propre travail intérieur.
En ce sens, le tarif n’est ni une barrière ni une formalité : c’est un acte symbolique qui soutient le cadre analytique et participe à la transformation psychique.
Il circule, il engage, il interroge. Il n’est pas seulement ce que le patient donne pour « acheter du temps », mais bien une part intégrante de la relation thérapeutique.
Pour beaucoup de patients, le coût des séances est perçu comme un investissement personnel. Ce n’est pas une dépense anodine, mais une mise symbolique sur soi, un acte de foi dans le processus de transformation. Payer une séance, c’est s’engager dans une démarche de guérison, d’autonomie, de reconquête de soi.
Le tarif du psychothérapeute ou du psychanalyste reflète souvent :
Mais il peut aussi susciter des réactions inconscientes : gêne, colère, peur d’abuser ou d’être abusé, sentiment d’injustice… Toutes ces réactions sont précieuses, car elles disent quelque chose du rapport intime du sujet à la valeur, à la dette, au manque et au don.
Dans l’espace thérapeutique, l’argent n’est jamais dissociable des mouvements transférentiels.
De même, côté thérapeute, il peut y avoir des résonances contre-transférentielles : ajuster son tarif, proposer un étalement, ressentir du malaise face à un paiement en retard… Ce sont là autant de matières vivantes du lien thérapeutique.
Le patient ne paie pas juste pour parler ; il s’engage dans un processus de transformation, dans un travail de vérité parfois éprouvant.
Le paiement régulier des séances peut ainsi être lu comme :
C’est une forme de contrat implicite, où chacun (patient et thérapeute) s’engage dans une relation cadrée, asymétrique mais éthique, au service du sujet.
Attribuer un prix à la séance, c’est aussi reconnaître la valeur du soin, de la présence du thérapeute, de son écoute formée, mais aussi la valeur du travail psychique réalisé par le patient lui-même.
Autrement dit :
Et parfois, c’est justement ce qui résiste : « Suis-je digne d’être aidé ? », « Est-ce que je mérite qu’on m’écoute si longtemps, si intensément ? » Ces questions affleurent souvent dans le rapport à l’argent.
Dans une lecture psychanalytique, l’argent versé au thérapeute peut aussi être perçu comme un don symbolique. Et comme tout don, il évoque les liens affectifs primaires : donner pour être aimé, pour remercier, pour ne pas perdre l’autre.
Ce don peut aussi :
Derrière le simple acte de paiement, c’est donc toute une scène psychique qui peut se rejouer, entre attachement, séparation, perte et gratitude.
Or, l’argent – loin d’être un simple détail logistique – peut devenir un objet de transfert à part entière.
Par exemple :
Ce rapport complexe peut générer de l’ambivalence, de la rébellion, de la peur d’être exploité, ou à l’inverse, de la culpabilité de coûter.
Quelques exemples de contre-transfert financier :
Ces mouvements doivent être pensés, analysés, encadrés, car ils peuvent influencer la neutralité et la qualité du lien thérapeutique. Ce n’est pas parce qu’ils existent qu’ils sont pathologiques – mais ils doivent être reconnus pour être régulés.
Chacun de ces éléments peut éclairer :
Il est aussi le reflet symbolique des désirs inconscients, des pulsions refoulées, des fantasmes infantiles liés au pouvoir, au plaisir et à la honte.
Freud a été l’un des premiers à établir un lien entre argent, pulsion anale et libido. Pour lui, l’argent symbolise le contrôle, la propreté, la retenue… mais aussi la jouissance : celle de garder, de posséder, d’accumuler ou de priver.
L’argent devient alors le théâtre déplacé des conflits œdipiens, des pulsions interdites, des scénarios érotiques refoulés.
Le paiement peut ainsi être vécu comme un acte de soumission ou, au contraire, comme une tentative de prise de pouvoir sur le thérapeute :
Ces jeux de pouvoir ne sont pas "hors-cadre" : ils sont au cœur du travail analytique, car ils révèlent les rapports primitifs à l’autorité, au manque, à la dette et au désir.
Ces dynamiques sont fondamentales à explorer, car elles touchent directement à l’identité du sujet, à son rapport à sa propre valeur et à son désir d’être aimé, reconnu, accueilli.
Derrière le "je ne peux pas payer", il y a parfois un "je ne mérite pas d’être aidé", ou encore un "je ne veux rien devoir à personne". Ces situations doivent être entendues dans leur complexité psychique, car elles touchent à des blessures d’estime de soi, à des conflits autour de la dette symbolique, et au rapport au manque.
Ce n’est pas uniquement une question de gestion financière : cela peut activer un sentiment d’échec personnel, une impression de perdre le contrôle sur sa vie.
En thérapie, ces difficultés matérielles sont souvent l’expression de conflits internes autour de la compétence, de l’autonomie et de la reconnaissance. Le manque d’argent devient alors le langage visible d’une insécurité invisible.
Entrepreneurs, freelances, artistes, soignants… ils ressentent souvent que leur activité "ne vaut pas grand-chose", ou qu’ils ne méritent pas vraiment d’être payés.
Ces personnes peuvent intérioriser une image d’elles-mêmes comme "non valables", comme si leur valeur ne pouvait être reconnue sur le plan matériel. En thérapie, ce vécu peut être exploré dans son histoire, souvent liée à des expériences précoces de dévalorisation ou d’invisibilisation.
Ces sentiments sont souvent enracinés dans des expériences d’injustice, de rejet ou de déni de compétence. Le travail thérapeutique permet alors de mettre en lumière ces empêchements psychiques et d’en desserrer les nœuds.
Ces comparaisons incessantes nourrissent le sentiment d’infériorité, et parfois une colère rentrée contre soi ou contre le monde. Elles sont souvent le reflet d’une estime de soi fragile, d’un idéal du moi tyrannique ou d’un manque de reconnaissance parentale intériorisée.
L’argent devient alors le symptôme manifeste d’un mal-être latent, le miroir où se joue la question : "combien est-ce que je vaux ?", ou pire encore : "est-ce que je vaux quelque chose ?"
Dans l’espace thérapeutique, ces dissonances entre valeur perçue et valeur ressentie peuvent enfin être abordées. Le patient peut travailler ses croyances limitantes, déconstruire les messages hérités de l’enfance, et réinvestir sa valeur personnelle à travers un rapport nouveau à l’argent, au travail, et à la reconnaissance.
Bien sûr, tout travail mérite salaire, et le psychanalyste, comme tout professionnel, doit pouvoir vivre de son métier. Mais la fonction de l’argent en thérapie ne se réduit pas à cet aspect économique. Elle touche à la structure même du cadre analytique, à la nature du lien transférentiel… et aux zones obscures du désir.
Pourquoi ce malaise lorsqu’il s’agit de parler d’argent avec son psy ? Pourquoi cette gêne à demander un tarif, à proposer un étalement, à évoquer une difficulté de paiement ? Parce que l’argent met à nu des affects puissants : honte, colère, peur de décevoir, sentiment de dépendance, fantasmes de toute-puissance ou d’humiliation.
Il permet de clarifier le cadre, d’éviter les confusions de rôles et d’évacuer les soupçons de bénéfices cachés.
Autrement dit :
➡️ Le psychanalyste est payé pour écouter, contenir, interpréter – pas pour aimer, ni pour désirer, ni pour prendre soin au sens maternel du terme.
➡️ Cette asymétrie clairement assumée permet au patient d’explorer librement ses fantasmes, sans craindre une emprise ou une dépendance affective réelle.
Ainsi, le paiement crée une frontière protectrice. Il objectivise le lien, il structure la relation, et il protège l’espace analytique des dérives émotionnelles ou affectives. Il rappelle que le thérapeute n’est pas un ami, ni un parent, ni un sauveur – mais un professionnel du psychisme.
Ce cadre est co-construit, explicitement énoncé, et maintenu avec rigueur. Car c’est justement sa solidité qui permet au patient de se laisser aller, de se confronter à ses conflits internes, et de travailler ses résistances.
Changer de tarif en fonction de l’humeur ou de la sympathie, c’est fragiliser le cadre et risquer de parasiter le processus analytique. À l’inverse, assumer le cadre, y compris financier, c’est créer les conditions de la liberté intérieure.
C’est un peu comme la météo : il peut faire 30°C dehors (réalité objective), mais vous vous sentez gelé à l’intérieur (perception subjective). Dans une thérapie, ce décalage entre vécu intérieur et réalité extérieure est fréquent… et profondément signifiant.
C’est pourquoi l’alliance thérapeutique, la clarté du cadre, et la confiance dans le processus sont aussi essentiels que les outils cliniques.
L’éternelle question :
« Est-ce que payer tout ça vaut vraiment la peine ? »
C’est un peu comme s’abonner à une salle de sport en pensant que les abdos se développeront magiquement. La fréquence des séances, leur régularité, la mise au travail psychique et le temps d’intégration sont les conditions de l’évolution.
Le changement durable ne se mesure pas à la rapidité, mais à la profondeur du déplacement psychique. Il ne s'agit pas de "résoudre un problème", mais d’explorer sa structure, son origine, et ses répétitions inconscientes.
Peut-on chiffrer cela ? Pas vraiment. Mais peut-on vivre sans ? Quand la souffrance est là depuis des années, que vaut votre paix intérieure ?
Vous avez peut-être suivi une thérapie. Ou vous hésitez encore, avec cette petite voix dans la tête qui demande :
Mais ce n’est jamais "juste pour parler". C’est oser regarder en soi, affronter ses manques, ses blessures, ses répétitions. Et surtout : se donner de la valeur.
La thérapie est un voyage. Un peu comme prendre un billet pour une destination inconnue : ça coûte un peu… mais vous ne reviendrez jamais indemne. Et surtout, vous ne reviendrez jamais pareil.
Un choix de prendre soin de votre santé mentale, de votre dignité psychique, de votre droit à une vie plus libre.
Et cet investissement, vous êtes le seul à pouvoir le faire.
🎯 Ce n’est pas l’analyste qui décide de votre valeur. C’est vous.
Elle ne promet pas le bonheur instantané. Mais elle ouvre un espace unique : celui où vous pouvez vous rencontrer enfin, dans votre vérité nue, sans être jugé ni réparé.
Alors, la question n’est peut-être pas :
➡️ « Est-ce que cette thérapie vaut son prix ? »
Mais plutôt :
✅ « Est-ce que je me donne le droit d’aller bien, vraiment ? »
Parce qu’en fin de compte, votre santé mentale, votre paix intérieure, votre capacité à aimer, à choisir, à créer, à respirer librement…
n’ont pas de prix.
Mais elles ont une immense valeur.