L’argent en thérapie, supervision et coaching : entre tabou et nécessité
10/4/2025

L’argent en thérapie, supervision et coaching : entre tabou et nécessité

L'argent, dans les métiers de la relation d’aide (psychothérapie, supervision, coaching…), reste l’un des grands non-dits. Il gêne, met mal à l’aise, suscite souvent des sentiments ambivalents, autant chez les professionnels que chez les personnes accompagnées. Et pourtant, aborder la question du paiement ne relève pas d’un simple aspect logistique ou comptable : c’est un acte symbolique, qui structure le cadre de la relation et peut révéler des enjeux psychiques profonds. Dès 1913, Sigmund Freud soulignait que « le fait de payer son analyste est un acte qui participe au processus thérapeutique ». Parler d'argent, c'est donc aussi parler du cadre, de la valeur accordée au travail thérapeutique, et des dynamiques inconscientes que cette question peut activer. Alors, pourquoi ce sujet reste-t-il si difficile à aborder, même entre professionnels aguerris ? Quelles résistances surgissent lorsqu’il s’agit de fixer un tarif ou de parler d’une facture ? Et surtout, comment clarifier son cadre financier de manière éthique, décomplexée et structurante, sans se perdre dans la culpabilité ni tomber dans la rigidité ?

L’argent, un tabou bien ancré dans la relation d’aide

Dans les métiers de la relation d’aide — qu’il s’agisse de psychothérapie, de coaching ou de supervision — la question de l’argent reste souvent taboue.

Elle est fréquemment évitée, minimisée, voire banalisée, alors même qu’elle constitue une dimension structurante du cadre d’accompagnement.

Aborder le sujet du paiement peut faire surgir des réactions ambivalentes.

Certaines sont conscientes, d’autres relèvent d’enjeux plus inconscients, tant du côté du praticien que de la personne accompagnée.

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Des résistances fréquentes et partagées

  • Du côté du praticien :
    • Sentiment de culpabilité à parler d’argent.
    • Crainte d’être perçu comme intéressé ou moins “éthique”.
    • Difficulté à affirmer une position claire sur les honoraires.
  • Du côté du patient ou du client :
    • Malaise à l’idée de payer pour être écouté.
    • Sentiment de dépendance financière.
    • Représentations négatives liées à l’argent, à la dette, ou à la marchandisation du lien.

Ces résistances, lorsqu’elles ne sont pas pensées, peuvent donner lieu à des contournements du cadre : séances prolongées sans être facturées, rendez-vous annulés à la dernière minute sans conséquence, flou autour des tarifs, voire silence sur les modalités de paiement. Autant de pratiques qui, à terme, fragilisent la stabilité du cadre thérapeutique et peuvent nourrir des malentendus relationnels.

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Un enjeu symbolique fondamental

La littérature psychanalytique et les approches systémiques rappellent que le cadre thérapeutique est une construction symbolique, et que l’argent en fait partie intégrante. François Roustang soulignait : « L’argent structure le cadre, et sans cadre clair, il ne peut y avoir de véritable travail » (1994). De même, pour Jacques Lacan, l'argent relève du registre symbolique et permet de distinguer la relation professionnelle d’un lien de dépendance ou de séduction.

Refuser d’aborder la question de l’argent ou la maintenir dans un flou peut nourrir des fantasmatiques, brouiller les places respectives, et perturber la dynamique transférentielle. Clarifier ce point dès les premiers échanges, sans rigidité mais avec rigueur, participe au travail de mise en sens que propose tout accompagnement sérieux.

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Le paiement, un acte structurant dans la relation

Dans le cadre d’un accompagnement thérapeutique, d’une supervision ou d’un coaching, le paiement d’une séance ne relève pas d’un simple échange marchand. Il constitue un acte symbolique, un engagement qui structure la relation et participe au processus d’élaboration psychique.

« Les psys se font de l’argent sur le malheur des gens ! »

Cette phrase, souvent formulée avec gêne ou colère, exprime une crainte sous-jacente : celle que la souffrance devienne un objet de profit.

Elle reflète une projection très répandue, où l’argent vient brouiller les représentations du soin, de l’aide et de la générosité. La figure du thérapeute, associée à une posture éthique et désintéressée, semble alors incompatible avec la notion de rétribution.

Pourtant, cette idée repose sur un malentendu : payer un psy, ce n’est pas acheter de la compassion. C’est investir un espace, reconnaître la valeur d’un cadre, et s’engager dans un travail subjectif qui demande du temps, de la formation, de l’implication – des deux côtés.

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Une fonction contenante et symbolique

Le paiement permet de délimiter clairement les rôles et les responsabilités.

Il installe une distance nécessaire entre l’aidant et l’aidé, prévenant les glissements relationnels (fusion, dépendance, surinvestissement affectif…). Comme l’écrivait Jacques Lacan (1969) : « Payer, c’est entrer dans le symbolique ». Cela signifie que l’échange financier inscrit la relation dans un ordre symbolique, qui permet au processus thérapeutique de se déployer dans un cadre stable et différencié.

Trois fonctions du paiement dans la relation d’aide

1. Engagement et responsabilité

Le paiement marque l’entrée active du sujet dans le processus. Il implique un investissement, non seulement financier, mais aussi psychique. Payer, c’est reconnaître que quelque chose se joue, que le temps partagé a du poids.

2. Contenance du cadre

Un cadre flou ou instable sur le plan financier peut alimenter des attentes implicites, voire des frustrations. À l’inverse, un cadre clair permet de sécuriser la relation, de poser des limites, et d’offrir un repère stable.

3. Révélation des enjeux inconscients

Les difficultés de paiement, les demandes de réduction, les oublis récurrents ou les changements d’honoraires imposés par le patient peuvent faire émerger des contenus latents : peur de la dette, rivalité, honte, revendication, conflit de loyauté… Comme le rappelait Irvin Yalom (2002) : « Tout ce qui se joue en séance est matériel thérapeutique, y compris la question du paiement ».

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Poser un cadre clair et éthique

Clarifier les conditions financières d’un accompagnement est une étape fondamentale dans la construction du cadre thérapeutique ou professionnel.

Trop souvent négligée ou repoussée, cette clarification participe pourtant d’un acte fondateur : poser un cadre contenant, au sein duquel le travail pourra se déployer en toute sécurité.

Un cadre bien posé ne relève ni de la rigidité, ni de la froideur : il est au contraire un appui, une manière de tenir la fonction du praticien et d’offrir à la personne accompagnée des repères stables et lisibles. Cela suppose d’assumer la question de l’argent avec clarté, cohérence et souplesse, sans se laisser piéger par des affects culpabilisants ou des attentes implicites.

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Quelques principes de base pour poser un cadre clair :

Énoncer les honoraires dès le premier contact

L’information doit être transparente, posée et assumée. Annoncer un tarif n’est pas un acte commercial : c’est une mise en place du cadre. Cette clarté prévient les malentendus, les projections ou les négociations ultérieures qui viennent fragiliser la relation.

Préciser les modalités de paiement et d’annulation

Fréquence des règlements, délais d’annulation, prise en charge partielle (mutuelles, entreprises), modalités en cas d’absence : plus ces points sont explicites, plus la relation est sécurisée.

Tenir un positionnement cohérent

Le cadre financier doit refléter la valeur du travail engagé. Il ne s’agit pas de surévaluer ni de sous-évaluer ce que l’on propose, mais de reconnaître la qualité, l’implication, la formation continue, la supervision que tout professionnel sérieux mobilise dans sa pratique. Un tarif cohérent est un acte d’affirmation professionnelle, pas une posture narcissique.

Traiter les situations particulières avec souplesse, sans ambiguïté

Lorsqu’une personne évoque une difficulté financière réelle, il est possible de réfléchir à un ajustement — mais sans que cela devienne une norme tacite. Accepter une réduction peut être juste, à condition qu’elle soit explicitée, temporaire, et pensée dans le cadre. Cela évite que la relation soit contaminée par un flou ou une dette implicite.

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Faut-il offrir la première séance ?

La proposition d’une « première séance gratuite », inspirée parfois du monde de l’entreprise ou du marketing du développement personnel, peut sembler à première vue accueillante ou bienveillante.

Elle est parfois envisagée comme un geste de mise en confiance ou comme une manière de « tester » la relation.

Pourtant, dans le champ de la psychothérapie, de la supervision ou du coaching professionnel sérieux, cette gratuité initiale n’est pas neutre. Elle peut induire une confusion des places, brouiller les repères symboliques de la relation, et venir altérer la fonction de cadre dès le départ.

D’un point de vue psychanalytique, toute séance, y compris la première, engage la parole, le transfert, la temporalité. Elle mérite donc d’être investie à part entière, y compris sur le plan symbolique du paiement. Le fait de régler cette première rencontre permet à la personne de s’autoriser à entrer dans un espace de travail, et au praticien de tenir sa position professionnelle dès le début.

Cela ne signifie pas qu’il faille exclure toute souplesse, ni refuser le principe d’une séance d’orientation plus brève et moins coûteuse. Mais la gratuité totale, lorsqu’elle devient systématique ou non questionnée, peut fragiliser le processus d’engagement et banaliser la valeur du cadre.

Une parole claire, un acte éthique

Poser un cadre financier n’est pas une formalité annexe : c’est un acte éthique, qui participe à la contenance du dispositif et protège autant le praticien que la personne accompagnée.

Comme l’écrivait Carl Whitaker (1976) : « Un praticien qui ne valorise pas son propre travail envoie un message ambigu sur son engagement ». À travers le tarif, c’est la valeur du lien, du temps partagé, et de la fonction thérapeutique qui est affirmée.

Quand l’argent devient un enjeu relationnel

Dans certaines situations, la question de l’argent ne se limite pas à un simple élément de cadre : elle prend une place centrale dans la relation.

Elle devient un support de transfert, un lieu de mise en scène inconsciente, ou un vecteur d’ambivalence.

Ces manifestations ne sont jamais anodines : elles signalent souvent des enjeux subjectifs profonds qui méritent d’être pensés.

Quand l’argent vient perturber la relation

Il peut arriver que le paiement d’une séance — ou son absence — devienne l’objet de tensions, de conflits, ou de malaises répétés.

Parmi les manifestations fréquentes, on peut rencontrer :

  • Des tentatives systématiques de négociation des tarifs.
  • Des oublis de paiement récurrents, ou des règlements en retard sans justification.
  • Une colère implicite ou explicite liée au coût des séances.
  • Des ruptures brutales dès lors que la question du tarif est abordée de manière claire.
  • Des demandes d'arrangement floues ou une attente implicite de gratuité.

Chacun de ces comportements peut être entendu comme une mise à l’épreuve du cadre, ou comme une expression déplacée d’un contenu psychique plus profond : peur d’être en dette, difficulté à recevoir, conflit avec l’autorité, fantasme de toute-puissance ou de sauvetage, etc.

Ce que cela peut rejouer inconsciemment

Une difficulté à recevoir

Payer revient symboliquement à reconnaître un apport extérieur. Pour certains, cela confronte à une angoisse de dépendance, à un sentiment de faiblesse, voire à un vécu d’humiliation.

Une relation à l’argent marquée par la privation

Si la personne a connu un rapport douloureux à l’argent — manque, précarité, honte — la transaction financière peut réactiver des vécus de carence, d’injustice ou de méfiance.

Une rivalité ou une épreuve narcissique

Le fait de devoir « donner » à l’autre (le praticien) peut réactiver des fantasmes de rivalité, de soumission ou de contrôle, particulièrement dans les transferts marqués par une blessure narcissique.

Un test inconscient de l’engagement du praticien

Certains oublis ou arrangements autour du paiement peuvent être compris comme une manière indirecte de vérifier les limites du thérapeute, de tester sa cohérence ou sa solidité.

Un matériau à travailler dans le cadre

Ces situations ne doivent pas être vues uniquement comme des entraves au bon déroulement du travail : elles constituent au contraire un matériau clinique précieux.

Comme l’écrivait Jacques Lacan (1969) : « L’argent dans l’analyse n’est jamais anodin, il touche à la dette symbolique ». Le lieu de la dette, du don, du contre-don, de la reconnaissance de l’autre comme autre, est au cœur de la dynamique transférentielle.

À condition que le praticien ne réagisse pas en défense (colère, culpabilité, repli), mais garde une position claire, contenante et interprétative, ces situations permettent d’approfondir le travail, d’interroger les places, et d’éclairer les impensés du sujet autour de la valeur, du manque, ou du lien.

Conclusion : vers une approche décomplexée de l’argent dans la relation d’aide

Loin d’être un détail technique ou une gêne à contourner, l’argent est une composante essentielle du cadre dans les métiers de la relation d’aide.

Lorsqu’il est pensé, posé et assumé, il devient un point d’ancrage solide pour le travail thérapeutique, un vecteur de différenciation des places, et parfois même un révélateur d’enjeux inconscients majeurs.

Refuser d’en parler, ou maintenir un flou autour de cette question, revient à laisser s’installer des malentendus qui peuvent parasiter la relation, fragiliser la confiance, et empêcher l’élaboration de certaines problématiques. À l’inverse, poser un cadre clair, éthique et cohérent, permet de sécuriser la relation tout en affirmant une posture professionnelle ajustée.

Comme le rappelait Carl Rogers (1951) : « Une relation authentique passe par l’acceptation de toutes ses dimensions, y compris celles qui nous mettent mal à l’aise ». Dans cette perspective, parler d’argent n’est pas trahir la relation d’aide : c’est au contraire lui donner sa pleine densité symbolique.

En assumant cette dimension, le praticien offre un cadre à la fois sécure et vivant, propice au déploiement d’une parole libre, d’un transfert fécond et d’un véritable processus de transformation.

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Références

  • Freud, S. (1913). Remarques sur l’amour de transfert. In Œuvres complètes.
  • Lacan, J. (1969). Le Séminaire, livre XVI : D’un Autre à l’autre. Seuil.
  • Rogers, C. R. (1951). Client-Centered Therapy. Houghton Mifflin.
  • Roustang, F. (1994). Influence. Odile Jacob.
  • Whitaker, C. (1976). The Family Crucible. Harper & Row.
  • Yalom, I. (2002). The Gift of Therapy. HarperCollins.
Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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