« L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. » Cette phrase de Jacques Lacan fait partie des formules les plus percutantes — et les plus déconcertantes — de la psychanalyse. Elle frappe comme une gifle dans le monde des idées reçues sur l’amour, le don, le désir, et même la relation à l’autre. Elle vient court-circuiter nos représentations naïves et romantiques, et nous oblige à penser autrement ce qu’est aimer. Mais que signifie vraiment cette phrase ? Pourquoi donner ce qu’on n’a pas ? Et pourquoi à quelqu’un qui n’en veut pas ? À travers cette formule, Lacan dévoile la structure du désir humain, les impasses de la relation amoureuse, et la tragédie — ou la beauté — de notre quête d’altérité. Plongeons dans les méandres de cette citation, en explorant ses multiples couches de sens. Un voyage psychanalytique, sans langue de bois, pour que Lacan, ce soit vraiment fastoche.
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Bref, quelque chose qu’on possède et que l’on offre. Cette conception suppose que l’on est plein, complet, et qu’il ne reste plus qu’à partager ce trop-plein avec quelqu’un.
Mais la psychanalyse, avec Freud puis Lacan, montre tout autre chose : le sujet humain ne naît pas entier, mais divisé, manquant, traversé par une béance structurante. Ce manque est le prix à payer pour entrer dans le langage, dans la culture, dans le monde des autres.
Lacan l’exprime en disant que l’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas. Ce n’est pas un don d’objet, mais un don symbolique, un don de manque, un offrande de vide.
Or, le désir naît du manque. Nous désirons ce qui nous échappe, ce qui nous fait défaut.
C’est pourquoi l’amour ne se situe pas dans la logique de la possession, mais dans celle de l’altérité. Aimer, c’est dire à l’autre : « je te donne la preuve que je ne suis pas tout, que je désire, que je suis en manque ».
Le travail en psychanalyse permet d’explorer le désir inconscient.
Le fantasme de toute-puissance de l’amour romantique — celui où l’on « sait » ce que l’autre veut, ce qu’il ressent, ce qu’il attend — est mis à mal par l’expérience clinique : on ne sait pas ce que veut l’autre. Et souvent, l’autre ne veut pas ce qu’on lui donne.
D’où cette deuxième partie de la phrase : « à quelqu’un qui n’en veut pas ». Non pas pour nous décourager, mais pour pointer une vérité tragique : l’amour touche à l’impossible. Il cherche à combler une faille, mais rencontre une résistance. L’autre ne veut pas de ce don parce qu’il ne correspond jamais exactement à son propre manque.
L’amour se joue donc sur fond de quiproquo fondamental, de malentendu structural.
On croit donner ce que l’autre désire, mais on donne ce qu’on croit qu’il désire. Et lui, il reçoit autre chose. Ce décalage n’est pas un accident, mais la structure même de la relation d’amour.
Ces représentations sont à la fois séduisantes et dangereuses, car elles effacent la différence, la séparation, la division qui sont pourtant constitutives du sujet et du désir.
Lacan vient briser cette illusion. Il nous dit : non, aimer ce n’est pas fusionner, ce n’est pas guérir du manque, c’est le reconnaître, le symboliser, le partager.
Il ne s’agit pas de deux êtres « entiers » qui s’offrent, mais de deux êtres manquants qui acceptent de se risquer dans une rencontre incertaine.
La formule de Lacan fait résonner les trois registres : donner (symbolique) ce qu’on n’a pas (réel) à quelqu’un qui n’en veut pas (imaginaire).
Le patient adresse un amour à l’analyste, un amour souvent incompris, parfois non réciproqué, mais qui ouvre la voie à une élaboration symbolique du désir.
L’analyste n’est pas là pour « répondre » à l’amour, mais pour permettre au patient de l’entendre autrement, de traduire cet amour comme symptôme, comme message énigmatique.
L’amour selon Lacan prend tout son sens en psychanalyse.
Dans tous ces cas, la dynamique du manque, du désir et de l’altérité est en jeu.
Il ne repose ni sur une possession, ni sur une certitude de retour. C’est un pari symbolique, une mise en jeu du sujet, une exposition de sa faille.
En psychanalyse, le manque devient moteur du lien.
À rester du côté du manque, de l’incomplétude, de l’ouverture à ce qui échappe.
C’est cela, le désir de l’Autre : non pas posséder, mais laisser une place. Aimer, c’est faire une place à l’impossible, au vide, à l’altérité radicale.
Il parlait d’amour de transfert, où le patient projette sur l’analyste ses désirs anciens. C’est un amour d’illusion, mais qui peut devenir levier thérapeutique.
Là encore, le don n’est pas un objet, mais une place, une disponibilité.
Elle met en lumière que l’amour, dans sa forme la plus pure, n’est pas une transaction équilibrée, mais une folie douce, une fragilité offerte, une tentative toujours manquée de dire à l’autre : « je suis là, même si je ne suis pas tout ».
Elle nous invite à aimer malgré, à accepter l’échec, à faire du ratage une chance.
Car c’est peut-être là que réside le vrai miracle de l’amour : dans cette insistance à donner, même sans garantie, même sans retour, dans cette folie de désirer encore, de croire à l’autre, de s’adresser à lui comme à un sujet désirant.
C’est donner ce qu’on n’a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas, parce que c’est cela, être sujet du manque, sujet du désir, sujet de l’inconscient.
Cette phrase, loin d’être cynique, est d’une profonde tendresse. Elle nous rappelle que l’amour est un risque, un geste fou, un don sans objet — mais peut-être le seul qui vaille d’être tenté.
Et vous, qu’est-ce que cette phrase évoque pour vous ? Avez-vous déjà donné ce que vous n’aviez pas à quelqu’un qui n’en voulait pas ? Venez en parler en séance !
Oser la psychanalyse, c’est se confronter à ses vérités les plus intimes.