L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas...
16/4/2025

L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas

« L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. » Cette phrase de Jacques Lacan fait partie des formules les plus percutantes — et les plus déconcertantes — de la psychanalyse. Elle frappe comme une gifle dans le monde des idées reçues sur l’amour, le don, le désir, et même la relation à l’autre. Elle vient court-circuiter nos représentations naïves et romantiques, et nous oblige à penser autrement ce qu’est aimer. Mais que signifie vraiment cette phrase ? Pourquoi donner ce qu’on n’a pas ? Et pourquoi à quelqu’un qui n’en veut pas ? À travers cette formule, Lacan dévoile la structure du désir humain, les impasses de la relation amoureuse, et la tragédie — ou la beauté — de notre quête d’altérité. Plongeons dans les méandres de cette citation, en explorant ses multiples couches de sens. Un voyage psychanalytique, sans langue de bois, pour que Lacan, ce soit vraiment fastoche.

Donner ce qu’on n’a pas : la structure du manque

L’amour n’est pas un objet

Dans la vie courante, on imagine souvent que l’amour, c’est donner quelque chose : de l’attention, du temps, un cadeau, des mots doux…

Pour aller plus loin, découvrez notre approche en psychanalyse.

Bref, quelque chose qu’on possède et que l’on offre. Cette conception suppose que l’on est plein, complet, et qu’il ne reste plus qu’à partager ce trop-plein avec quelqu’un.

Mais la psychanalyse, avec Freud puis Lacan, montre tout autre chose : le sujet humain ne naît pas entier, mais divisé, manquant, traversé par une béance structurante. Ce manque est le prix à payer pour entrer dans le langage, dans la culture, dans le monde des autres.

Lacan l’exprime en disant que l’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas. Ce n’est pas un don d’objet, mais un don symbolique, un don de manque, un offrande de vide.

Le manque comme origine du désir

Ce que nous cherchons dans l’amour, ce n’est pas remplir quelqu’un, ni être rempli : c’est entrer dans le champ du désir de l’autre.

Or, le désir naît du manque. Nous désirons ce qui nous échappe, ce qui nous fait défaut.

C’est pourquoi l’amour ne se situe pas dans la logique de la possession, mais dans celle de l’altérité. Aimer, c’est dire à l’autre : « je te donne la preuve que je ne suis pas tout, que je désire, que je suis en manque ».

Le paradoxe ? Ce don du manque est en réalité ce que l’autre attend, au sens où il permet que quelque chose de l’ordre du désir réciproque puisse émerger.

Le travail en psychanalyse permet d’explorer le désir inconscient.

À quelqu’un qui n’en veut pas : la résistance du désir de l’autre

L’autre comme énigme

L’autre, dans la psychanalyse, n’est jamais transparent. Il est opaque, inconnaissable, Autre avec un grand A.

Le fantasme de toute-puissance de l’amour romantique — celui où l’on « sait » ce que l’autre veut, ce qu’il ressent, ce qu’il attend — est mis à mal par l’expérience clinique : on ne sait pas ce que veut l’autre. Et souvent, l’autre ne veut pas ce qu’on lui donne.

D’où cette deuxième partie de la phrase : « à quelqu’un qui n’en veut pas ». Non pas pour nous décourager, mais pour pointer une vérité tragique : l’amour touche à l’impossible. Il cherche à combler une faille, mais rencontre une résistance. L’autre ne veut pas de ce don parce qu’il ne correspond jamais exactement à son propre manque.

L’amour, c’est aussi un malentendu

Ce que je donne n’est pas ce que l’autre veut, et ce que l’autre attend n’est jamais totalement formulable.

L’amour se joue donc sur fond de quiproquo fondamental, de malentendu structural.

C’est pourquoi Lacan dira ailleurs que l’amour est toujours réciproque… dans le malentendu.

On croit donner ce que l’autre désire, mais on donne ce qu’on croit qu’il désire. Et lui, il reçoit autre chose. Ce décalage n’est pas un accident, mais la structure même de la relation d’amour.

L’amour n’est pas la fusion, mais le lien du manque

Contre le fantasme de complétude

Le discours ambiant sur l’amour est saturé de clichés du type : « trouver sa moitié », « combler l’autre », « ne faire qu’un ».

Ces représentations sont à la fois séduisantes et dangereuses, car elles effacent la différence, la séparation, la division qui sont pourtant constitutives du sujet et du désir.

Lacan vient briser cette illusion. Il nous dit : non, aimer ce n’est pas fusionner, ce n’est pas guérir du manque, c’est le reconnaître, le symboliser, le partager.

L’amour véritable, alors, n’est pas une fusion mais un lien entre deux manques.

Il ne s’agit pas de deux êtres « entiers » qui s’offrent, mais de deux êtres manquants qui acceptent de se risquer dans une rencontre incertaine.

L’amour, entre réel, symbolique et imaginaire

Dans la théorie lacanienne des trois registresRéel, Symbolique et Imaginaire —, l’amour navigue entre ces dimensions.

  • Dans l’Imaginaire, l’amour est narcissique, basé sur l’image, le reflet, l’identification. C’est le « je t’aime car tu me ressembles ».
  • Dans le Symbolique, l’amour est un acte de parole, un engagement, une adresse. Il reconnaît l’autre dans sa différence, dans sa position de sujet.
  • Dans le Réel, l’amour touche à l’impossible, à ce qui échappe, à ce qui résiste à toute symbolisation.

La formule de Lacan fait résonner les trois registres : donner (symbolique) ce qu’on n’a pas (réel) à quelqu’un qui n’en veut pas (imaginaire).

Quand l’amour fait symptôme : clinique du don impossible

Le don amoureux dans la cure analytique

Dans la cure psychanalytique, la relation transférentielle met en scène cet amour paradoxal.

Le patient adresse un amour à l’analyste, un amour souvent incompris, parfois non réciproqué, mais qui ouvre la voie à une élaboration symbolique du désir.

L’analyste n’est pas là pour « répondre » à l’amour, mais pour permettre au patient de l’entendre autrement, de traduire cet amour comme symptôme, comme message énigmatique.

L’amour selon Lacan prend tout son sens en psychanalyse.

Pathologies du don amoureux

Certaines pathologies illustrent jusqu’à la caricature cette formule :

  • Le don obsessionnel : celui qui donne sans cesse, mais dont le don n’est jamais reçu.
  • Le masochisme érotisé : donner à quelqu’un justement parce qu’il n’en veut pas, dans une logique d’auto-sabotage.
  • L’amour narcissique, où l’on donne pour obtenir un reflet, une reconnaissance.
  • L’érotomanie, fantasme délirant où l’autre est censé aimer en retour, alors qu’il ne veut rien recevoir.

Dans tous ces cas, la dynamique du manque, du désir et de l’altérité est en jeu.

Ce que nous apprend cette phrase sur nos relations

Aimer, c’est accepter l’incertitude

Donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas, c’est aussi une façon de dire que l’amour est un acte sans garantie.

Il ne repose ni sur une possession, ni sur une certitude de retour. C’est un pari symbolique, une mise en jeu du sujet, une exposition de sa faille.

L’amour n’est pas un contrat entre deux êtres complets, mais une expérience du manque, du risque, du désir de l’Autre.

En psychanalyse, le manque devient moteur du lien.

Aimer, c’est désirer

Là où la culture nous pousse à posséder, sécuriser, contrôler, Lacan nous invite à désirer.

À rester du côté du manque, de l’incomplétude, de l’ouverture à ce qui échappe.

C’est cela, le désir de l’Autre : non pas posséder, mais laisser une place. Aimer, c’est faire une place à l’impossible, au vide, à l’altérité radicale.

Ce qu’en disent les autres psychanalystes

Freud et l’amour transférentiel

Freud avait déjà pointé que l’amour s’adresse toujours à des figures anciennes, à des objets infantiles.

Il parlait d’amour de transfert, où le patient projette sur l’analyste ses désirs anciens. C’est un amour d’illusion, mais qui peut devenir levier thérapeutique.

Winnicott et le don d’un espace vide

Winnicott, avec sa notion d’espace transitionnel, nous rappelle qu’aimer, c’est offrir à l’autre un lieu potentiel, un cadre vide, dans lequel il peut jouer, imaginer, être.

Là encore, le don n’est pas un objet, mais une place, une disponibilité.

Pourquoi cette phrase nous touche autant

Un miroir de nos impasses amoureuses

Qui n’a jamais aimé sans retour ? Qui n’a jamais donné quelque chose — son cœur, son âme, ses rêves — à quelqu’un qui n’en voulait pas ? Cette phrase de Lacan est une radiographie brutale de nos expériences amoureuses.

Elle met en lumière que l’amour, dans sa forme la plus pure, n’est pas une transaction équilibrée, mais une folie douce, une fragilité offerte, une tentative toujours manquée de dire à l’autre : « je suis là, même si je ne suis pas tout ».

Une leçon de lucidité… et de liberté

En même temps, cette phrase est libératrice. Elle nous désencombre du mythe du grand amour parfait.

Elle nous invite à aimer malgré, à accepter l’échec, à faire du ratage une chance.

Car c’est peut-être là que réside le vrai miracle de l’amour : dans cette insistance à donner, même sans garantie, même sans retour, dans cette folie de désirer encore, de croire à l’autre, de s’adresser à lui comme à un sujet désirant.

En conclusion : l’amour, un acte subversif

Aimer, ce n’est pas remplir un vide, c’est l’habiter.

C’est affirmer : « je ne suis pas tout, mais je te donne la preuve de mon désir ».

C’est donner ce qu’on n’a pas, à quelqu’un qui n’en veut pas, parce que c’est cela, être sujet du manque, sujet du désir, sujet de l’inconscient.

Cette phrase, loin d’être cynique, est d’une profonde tendresse. Elle nous rappelle que l’amour est un risque, un geste fou, un don sans objet — mais peut-être le seul qui vaille d’être tenté.

Et vous, qu’est-ce que cette phrase évoque pour vous ? Avez-vous déjà donné ce que vous n’aviez pas à quelqu’un qui n’en voulait pas ? Venez en parler en séance !

Oser la psychanalyse, c’est se confronter à ses vérités les plus intimes.

Par Frédérique Korzine,
psychanalyste à Versailles
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